Sans nous préoccuper des points positifs et négatifs des stratégies qu’on peut employer pour mener à bien une enquête toponymique orale (voir sous 3.04), nous voulons souligner ici certains aspects particuliers à la prospection toponymique qui contrastent avec une approche descriptive qui à pour seul but la description des mots, expressions et structure de la langue courante.
Différence essentielle entre toponymes et vocabulaire courant
Un fait majeur qui doit être pris en compte dans la prospection toponymique est que les noms de lieux bretons – contrairement aux mots courants dans le breton quotidien des mêmes informateurs – ont gardé un usage en français, et non seulement un usage, mais une forme française propre qui n’est pas la forme bretonne traditionnelle. C’est tout pour dire, que – contrairement aux mots bretons quotidiens – les noms de lieux bretons ont des pendants français qui ont de plus en plus d’usage comme le breton se dissipe en tant que langue usuelle dans la société basse-bretonne. Cela explique aussi que la prononciation françisée des noms de lieux bretons peuvent être employés par les informateurs quand les chercheur leur pose la question “Comment s’appelle tel-et-tel lieu ?”. Hors de contexte d’une conversation naturelle en breton, dans un environnement, qui n’est pas sans rappeller l’environnement des examens scolaires, les informateurs peuvent bien donner aux chercheurs qui s’intéressent à la prononciation bretonne, une prononciation francisée puisque c’est souvent le cas, pour la plupart des noms de lieux bretons, que les bretonnants traditionnels n’ont jamais pensé qu’il existe de différences entre leur prononciation bretonne et française pour le même nom de lieu. Cette manque de réfléxion par les bretonnants ordinaires sur la question de la prononciation de ces noms va jusqu’à conduire certains de nos informateurs – perplexés par le dessein même du HLBI de recueillir les prononciations traditionnels – à déclarer : “Mais ici les noms de lieux se prononcent pareils en breton comme en français !”
Nature restreinte de la connaissance toponymique vis-à-vis celle de la langue courante
Une étude sur le breton de la dernière génération de bretonnants traditionnels, nés entre 1930 et 1960, peut s’attendre à pouvoir récolter beaucoup de mots et d’expressions usuels (avec leur prononciation) chez tous les informateurs bretonnants.1Pour l’estimation contemporaine du nombre possible d’informateurs bretonnants dans une commune, voir sous 1.0. Par contre, la forme bretonne de chaque nom de lieu n’est connue que d’un nombre beaucoup plus restreint d’informateurs, et même plus connue du tout d’aucun vivant si le nom de lieu a cessé d’etre habité depuis un laps de temps. Il est connu que certains noms de lieux de ce type ont perduré dans seulement une famille à cause d’attaches familiales qui ont gardé le toponyme vivant pour des raisons nostalgiques plutôt que pratiques. Dans ces circonstances, le chercheur toponymique fait un travail de récupérage historique aussi bien qu’un inventaire des toponymes connus de toute la population des bretonnants d’une commune. Cela dit, du moment que l’on interroge des bretonnants conservant des solides liens avec le voisinage, ce chercheur reste surpris à quel point la mémoire de lieu est beaucoup plus précis et perdure beaucoup mieux que la mémoire chronologique qui perd vite en précision.2Le folkloriste américain, Henry Glassie, spécialiste de la société rurale et la tradition orale du Fermanagh, dans son livre de chevet de 1982, Passing the Time in Ballymenone: Culture and History of an Ulster Community, conclua que les gardiens de la mémoire de la société traditionnelle irlandaise – dans une région où le gaélique n’était plus parlé, il sied de le signaler – privilégeaient l’espace ou se déroulait l’action plutôt que la chronologie exacte des évènements racontés, et donc qu’ils étaient très floues quant aux dates mais très précis quant aux lieux. Hormis les noms de lieux les plus connus dans un district, la forme bretonne véritablement traditionnelle de beaucoup de noms de lieux peut être un patrimoine très peu connu de nos jours.
Nature effleurante d’une enquête toponymique
Tout comme les dialectologues géolinguistiques qui tentent de composer un atlas dialectal, le chercheur toponymique doit gagner la confiance d’informateurs sélectionnés seulement pour faire un ou deux entretiens (ou, au tout plus, trois) avant de devoir partir pour retracer le même processus ailleurs avec des nouveaux informateurs. Cette approche ‵effleurante′ des toponymistes et des géolinguistes tend à contraster avec l’approche ‵soutenue′ des dialectologues descriptivistes se focalisant sur un dialecte strictement délimité qui peuvent se permettre de passer nombre d’années avec les mêmes informateurs et de nouer des liens beaucoup plus solides avec eux d’où en découle une connaissance beaucoup plus profonde et complète d’une variété de langue que chez ceux qui pratiquent les approches ‵effleurantes′. Malgré cette disparité de profondeur entre différentes approches – on peut parler de méthodologies – qui cherchent à connaître les traits d’une variété de langue ciblée, on peut néanmoins espérer que les chercheurs toponymiques peuvent aussi être très biens informés sur un autre dialecte breton (souvent la leur) ou être, du moins, biens documentés sur les descriptions linguistiques du breton.
Un fait capital qui joue sur le succès ou non d’une enquête toponymique ‵effleurante′, qui empêche les chercheurs de pouvoir nouer des liens d’amitié avec leurs informateurs, est la possession par le chercheur d’un breton vraiment aisé et traditionnel. Cela peut faire la différence au chercheur entre une porte ouverte et une porte fermé et en plus (quand même bien qu’il serait admis chez les informateurs) peut fausser les donnés recueillis si l’ineptie langagière du chercheur lasse les informateurs et leur amener à dire n’importe quoi pour écourter l’entretien, ou que l’amateurisme langagier du chercheur en breton fasse en sorte que des questions évidentes pour ceux qui possèderaient le breton traditionnel n’interviendront pas pour perturber l’enquête (ceci dit, cela dépend totalement de la relation existant entre le chercheur et l’informateur et sur le caractère de l’informateur et de leur attitude vis-à-vis un entretien, et il n’y a pas à redire que beaucoup de ses informateurs peuvent êtres très indulgents avec un chercheur s’ils les trouvent sympathiques). Qualités personnelles exceptés, l’importance fondamentale du maniement aisé des aspects phatiques et conversationnels du breton du chercheur est la raison pour laquelle, en principe, on aviserait un apprenant du breton d’étudier et d’adopter le breton d’un district en profondeur plutôt que d’effleurer beaucoup de dialectes sans jamais s’habituer proprement à aucun. Comme tout autre langue celtique vivante, le breton se décline en dialecte ; toute locuteur de breton qui s’enorgueilli de ne pas porter d’attaches à un dialecte vivant d’une communauté langagière quelconque révèle immédiatement à qui veut entendre une nature française exogène qui a peu de véritable rapports – si ce n’est que superficiel – avec le breton ancré parlé par les bretonnants de souche. On ne peut surestimer le degré auquel les bretonnants traditionnels contemporains sont ultra-sensibles à l’exogénéité langagière d’un chercheur qui les interrogent et s’efforceront, soit à changer leur façon naturel de parler breton, soit à se mettre a répondre en français,3Ceci est dû, bien sûr, à la déconsidération et dévalorisation public du breton que ces informateurs ont vécues tout au long du XXe siècle, couplées du flétrissement accélérant de cette langue en tant que langue véhiculaire dans leur société surtout depuis le milieu de ce même siècle après que la transmission générationnelle cessa. Son abandon croissant a pénétré même jusque dans leur usage familial de la langue dès qu’ils commencèrent à recevoir régulièrement à la maison leurs beaux-enfants et surtout leurs petits enfants, qui eux ne comprennent strictement rien au breton. A des exceptions près, les couples bretonnants âgés contemporains parlent moins breton qu’ils ne le faisaient il y a cinquante ans et plus et leur breton a tendance à devenir ‘rouillé’ par manque d’usage. Ces tendances ‘tectoniques’ qui affectent la société toute entière peut croître les comportements plus négatifs quant à l’usage conversationnel du breton avec des inconnus chez les locuteurs. Heureusement, il reste quand même assez d’exceptions… . avec toutes les pertes d’informations que tels comportements impliqueraient pour les objectifs du HLBI.
POSTÉ mai 2018.
Notes
↑1 | Pour l’estimation contemporaine du nombre possible d’informateurs bretonnants dans une commune, voir sous 1.0. |
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↑2 | Le folkloriste américain, Henry Glassie, spécialiste de la société rurale et la tradition orale du Fermanagh, dans son livre de chevet de 1982, Passing the Time in Ballymenone: Culture and History of an Ulster Community, conclua que les gardiens de la mémoire de la société traditionnelle irlandaise – dans une région où le gaélique n’était plus parlé, il sied de le signaler – privilégeaient l’espace ou se déroulait l’action plutôt que la chronologie exacte des évènements racontés, et donc qu’ils étaient très floues quant aux dates mais très précis quant aux lieux. |
↑3 | Ceci est dû, bien sûr, à la déconsidération et dévalorisation public du breton que ces informateurs ont vécues tout au long du XXe siècle, couplées du flétrissement accélérant de cette langue en tant que langue véhiculaire dans leur société surtout depuis le milieu de ce même siècle après que la transmission générationnelle cessa. Son abandon croissant a pénétré même jusque dans leur usage familial de la langue dès qu’ils commencèrent à recevoir régulièrement à la maison leurs beaux-enfants et surtout leurs petits enfants, qui eux ne comprennent strictement rien au breton. A des exceptions près, les couples bretonnants âgés contemporains parlent moins breton qu’ils ne le faisaient il y a cinquante ans et plus et leur breton a tendance à devenir ‘rouillé’ par manque d’usage. Ces tendances ‘tectoniques’ qui affectent la société toute entière peut croître les comportements plus négatifs quant à l’usage conversationnel du breton avec des inconnus chez les locuteurs. Heureusement, il reste quand même assez d’exceptions… . |