Iwan Wmffre
Pour bien cerner les authentiques prononciations représentatives du breton traditionnel – ancré en tant que langue d’une communauté langagière naturelle transmise de génération en génération sans coupure artificielle – quelles réalités phonétiques attendent l’enquêteur descriptif dans un parler ciblé en tant que vecteur linguistique de cette communauté ? Voici quelques mises en gardes jugées utiles pour la pratique et la réflexion des toponymistes de terrain fondées sur une longue expérience acquise en la matière.
Primo – Le dynamisme inné du breton vivant.
Pour les besoins du HLBI, il faut découvrir les traits phonétiques particuliers à chaque localité, et pour bien faire cela, il faudrait pouvoir distinguer les traits phonétiques incontournables des autres traits qui sont – au minimum dans une certaine mesure – facultatifs.
Si un informateur fournit une forme complètement inattendue au chercheurs, ils devraient poursuivre des recherches concernant cette forme pour vérifier s’il s’agit, soit d’une faute de performance, soit d’un idiolectisme, ou si en fait elle représente un trait mal connu des recherches linguistiques descriptives antérieures. L’important est qu’on puisse être le plus assûrés dès le début, dans la mesure du possible, que les formes phonétiques recueillies sont réellement représentatives d’un parler particulier et pas simplement dues à une conjoncture particulière non-représentative des habitudes linguistiques générales de ce dialecte. Il est clair que ceci est un danger qui guette les chercheurs novices inhabitués à un dialecte cible surtout s’ils n’ont pas vraiment explorés la variation présente dans la variété de breton connues d’eux. Et même pour des chercheurs chevronnés, la rencontre avec un nouveau dialecte du breton réserve toujours de surprises. Le fait capital dans l’optique des enquêtes du HLBI est que nous cherchons non seulement les traits principaux de la phonétique des dialectes ciblés, mais que nous nous évertuons à discerner les traits dynamiques, variationnels qui existent bien dans ces dialectes et qui sont importants pour comprendre la façon que les traits dialectaux se transforment d’une localité à l’autre.
Toute localité, tout dialecte, tout locuteur même, présente des faits de variation. Cette variation peut être dû au registre langagier employé (voir l’entrée ‵registre′ sous 5.01) mais aussi à des aléas idiolectaux ou simplement des aléas de performance conjoncturelles. Contraints par un terme trop court de temps accordé dans les systèmes universitaires pour effectuer la totalité des recherches requises, la plupart des descriptions de parlers bretons ont des manques qui peuvent ultérieurement se révèler importants. De même, les locuteurs natifs – ceux qui se mettent au breton écrit et qui en règle deviennent très conscients des différences entre leur parler et les conventions littéraires – sont en général moins portés à remarquer les divergences latentes dans le parler de l’entourage dans lequel ils ont grandis et sont plutôt enclins à préférer une forme particulière existant dans cet entourage que de s’intéresser au fait que la langue de leurs parents et voisins du vicinage peut se démarquer de leur usage personnel. Les faits de variation, faits dus au dynamisme inné du langage sont donc sous-estimés et mal-étudiés et pourtant ces variations se montrent dans le breton des toponymes.
La recherche pour établir les traits de prononciation des toponymes employés et connus dans une localité cible doit être fait, en toute connaissance de cause que certains traits phonétiques sont sujets au dynamisme langagier dans chaque variété de breton et qu’ils ne peuvent être évités au cours d’une enquête toponymique. La cible d’une description idéale – même s’il ne peut être atteint parfaitement – est de bien repartir les traits du dialecte qui sont typiques et les traits qui sont plus facultatifs, et dans ces derniers de distinguer – dans la mesure du possible – entre traits recessifs et expansifs (voir l’entrée ‵expansif′ sous 5.02). Pour clore, un avertissement final au chercheurs en toponymie breton : il est certain qu’ils rencontreront chez leurs informateurs des traits de prononciation non-représentatifs du breton traditionnel de la localité ciblée (entre conjonctures de performances, d’idiolectismes, de prononciations littéraires, de prononciations françaises, et de prononciations suscitées, par la lecture d’une liste ou d’une carte, ou bien miroitant celle donné auparavant par les chercheurs mêmes dans leur quête de compléter une liste de toponymes qu’ils ont sous main). Tant d’écueils demandent une capacité de navigation avertie et avisée de la part du toponymiste de terrain, mais que cela ne dissuade personne d’y essayer ; s’il y a toujours des écueils, il y a aussi toujours des réussites dans le processus engagé pour atteindre une meilleure compréhension du breton.
EXEMPLE DE VARIATION NON-RÉPERTORIÉE – Julien Meffre nous informa récemment qu’au cours de ses recherches il avait entendu une forme tronquée Poullaòu puˈlɔw de Poullaouan (habituellement puˈlɔwᵊn dans la contrée) de la bouche du maire de cette commune, personne née en 1957, et donc de la génération des ‘habitués’ du breton qui ne s’est mis à le parler que sur le tard avec le résultat que son breton est donné comme exemple de ‘semi-locuteur’ [Meffre 2017: 101, 108–09]. Le constat de Meffre pour ce qui est du statut de la prononciation Poullaòu et d’autres prononciations hachées (ou tronquées) comme brezon’ pour brezoneg semble bien exact dans le contexte des derniers locuteurs, que ce sont des indices d’un breton post-traditionnelle non-représentative du breton traditionnel. Moi-même locuteur natif du breton de Plounévézel, commune avoisinante, et ayant de la famille à et de la familiarité avec les bretonnants de Poullaouen, je n’ai jamais entendu – ou devrais-je dire plutôt jamais remarqué – une telle forme tronquée de Poullaouan, et Francis Favereau, dans sa description poussée du breton de Poullaouen (1984), achevée après plus de dix ans de vécu dans cette commune, ne fait aucune mention de l’existence d’une forme Poullaòu pour la commune. Que la prononciation Poullaòu soit établie ou pas dans l’idiolecte du locuteur, il sied de la mettre en relation avec une évolution poussée de la réduction typique du breton cornouaillais traditionnel de tronquer la dernière syllabe entièrement, et cela surtout dans une région s’étendant des alentours sud de Carhaix jusqu’aux alentours est de Quimper. Dans la zone ainsi délimitée on trouve le plus grand nombre de troncations dans les formes des toponymes et du langage courant, et bien que pas du tout typique du breton une fois dépassé Carhaix vers le nord, on en trouve là aussi des exemples de troncations identiques dans or holc’h oˈhɔlx (pour ur holc’hed) à Plounévézel [p.c. Wmffre] puis alc’h alx (pour alc’hou, litt. alc’hweƶ) à Poullaouen [Favereau 1984: 121]. Même si telle troncation ne s’est pas du tout généralisée, l’explication pour la forme tronquée de Poullaòu de Poullaouan chez le ‘jeune’ maire de cette commune s’asseoit bien dans une évolution bien attestée en breton traditionnel dans le centre-sud de la Cornouaille, évolution qui – avant l’ère des ‘semi-locuteurs’ issus de la génération née dans les années 1940 et 1950 – avait entamée un processus d’expansion qui gagnait chez les dialectes situés au nord (comme Poullaouen). L’étendu de cette évolution se mesure une fois qu’on comprend que même un locuteur de Scrignac né en 1902 pouvait réduire la prononciation de Poullaouan au point que l’on pouvait douter de l’existence d’un n-final réduite à l’extrême. Nous pouvons heureusement vous faire écouter cette séquence où le locuteur en question parle de son père revenant du marché de Carhaix dans le train bondé de passagers qui allait vers Morlaix (nous avons répété Poullaou’(n) deux fois après la phrase pour qu’on puisse mieux cerner sa prononciation et nous pouvons assurer que le sonagramme montre bien une petite croissance du signale là où devrait se trouver le n-final) :
me zad oa war .. var ar pajinyerou tond d’ar yêr ken oa êd barh Poullaou’(n)
mø za·d wa waꝛ … vaꝛ aꝛ ˌpaʒiˈɲe·ʀo to͂nt t-ɐʀ ˈje·ʀ kèn wa e·d baꝛ puˈlɔwₙ
‘mon père était sur les marches (du wagon) en revenant à la maison jusqu’à que (le train) entra à Poullaouen’
La troncation de la syllabe finale post-tonique en breton KLT est donc loin d’être seulement une indice de l’ ‘appauvrissement’ en breton chez des semi-locuteurs mais est en fait une évolution phonétique qui a ses débuts dans la société unilingue bretonne du passé. Jusqu’à quel recul historique peut on parler de cette tendance (et surtout le degré de sa progression) ; on ne peut être sûr. Néanmoins, l’existence de cette tendance évolutive à son importance pour ce qui est de postuler des hypothèses concernant l’étymologie des toponymes bretons, comme il apparaît clairement dans le cas d’un toponyme à Poullaouen, Roskornaòu, qui provient à l’origine de Roskornaoueg (une troncation qui recule au moins jusqu’au second moitié du XVIIe siècle puisque il s’écrivait Roscornoua déjà à cette époque). En remontant plus loin dans l’histoire du breton KLT on trouve des troncations qui vont jusqu’au XVe sìecle pour Riwâll (np.), amânn, provenant des formes d’origine Riwallen, amanenn (Sainct Dryual 1496, amann 1659), troncations qui ne sont pas restreints seulement au cornouaillais, surtout pour amânn qui devint la forme standard en KLT (sans circonflexe). Voilà donc une leçon exemplaire de la part que peut jouer la variation dynamique dans notre entendement des diverses formes que prennent la langue bretonne.
Secundo – L’interférence du français.
Dans la conjoncture de l’époque présente où une langue remplace une autre il faut confronter l’influence croissante du français dans le breton contemporain. Pour les locuteurs d’autres langues, surtout ceux connaissant le gallois, la phonétique du breton en général semble très dérivative de celle du français ; cela l’est vrai en certains points (les prononciations fricatives du <r> et encore faut qualifier, la perte de la consonne nasale finale suivant <a-o> en vannetais), mais seulement en partie pour d’autres (les voyelles nasalisées), et pas du tout dans d’autres (l’accentuation vannetaise et la qualité du <u>). On ne peut être surpris dans l’optique de ce que nous savons du phénomène linguistique de l’aire linguistique (Sprachbund) que le côtoiement du breton avec une langue dominante et prestigieuse ait influé la phonologie du breton. Néanmoins, on est forcé de constater que dans presque tous les dialectes bretons traditionnels de 1900 on employait de systèmes phonologiques qui n’étaient pas en réalité dérivatives du français. Grosso modo le breton traditionnel préserva une indépendence phonologique du français jusqu’à la dernière cohorte de locuteurs, la génération élevée au moment de l’effondrement de la transmission du breton en tant que langue après 1945. La perte de traits phonologiques bretons contraires au français s’accentue à partir de cette époque, mais à des degrés très différents selon la situation des individus, couvrant un éventail allant de la préservation quasi-totale de la prononciation traditionnelle à des prononciations sérieusement compromises par l’interférence du français. Nous pouvons inventorier ici les deux principales interférences de la phonologie du français sur le breton :
- la modification de l’accentuation pénultième en breton KLT (soit faiblissement, soit perte) ;
- la réduction de la longueur des voyelles (soit raccourcissement, soit perte).
Ces deux interférences se trouvent souvent chez les locuteurs pour les toponymes bretons, et même chez les locuteurs les plus traditionnels qui ne montrent pas ces interférences dans leur langue courante. La raison que les toponymes sont plus aptes à montrer des interférences du français que la langue courante est que – contrairement aux mots usuels – les toponymes breton sont employés aussi en français, et cela d’une façon croissante vu la diminution générale de l’emploi du breton. Au niveau sous-conscient les locuteurs bretons savent refouler les traits saillants de leur prononciation bretonne face à des ‘gens du dehors’, et au niveau conscient ils peuvent penser que la prononciation française est plus ‘compréhensible’ à un interlocuteur de passage.
L’emploi normal du breton n’a fondamentalement reculé que depuis 1945, c’est-à-dire il y a 75 ans, et que la transmission aux jeunes générations – à l’exception d’un nombre minime d’individus épars – avait cessé totalement avant 1965, c’est à dire il y a 65 ans. Contemporainement, c’est l’âge des locuteurs qui est le plus important déterminant de la bretonnitude de leur breton, la dernière tranche de bretonnants traditionnels nés pour la plus grande partie entre 1945 et 1955 sont concrètement plus francisés dans leur prononciations (et bien d’autres aspects de leur breton) que les générations précédentes. Il y a des exceptions individuelles certes, mais c’est là assurément la règle générale. Pour cette raison, on devrait toujours s’informer de préférence – dans la mesure du possible – avec des informateurs agés de plus de 85 ans. La réalité de l’exiguïté du vivier d’informateurs bretonnants en 2020 nous empêchera de suivre ces recommandations à la lettre en nous forçant à nous informer chez des locuteurs plus jeunes dans plusieurs cas mais cela ne s’avèrera pas forcément en un problème si le locuteur plus jeune est aussi un locuteur conservateur. Mais s’il existe souvent des exceptions, nous insistons – à la suite de beaucoup d’années d’expérience en recherche de terrain toponymique – que l’âge des informateurs est en corrélation directe avec une intensité du vécu en langue bretonne et donc avec la qualité de l’information fournie si l’on est à la recherche de la prononciation traditionnelle non-faussée par des interférences extérieures.
En connaissance de cette réalite sociolinguistique qu’est la dominance croissante du français en Basse-Bretagne, le chercheur devrait être conscient que beaucoup d’informateurs bretonnants leurs fourniront des formes francisées (peut-être surtout pour des raisons contingentes de contexte d’entretien avec un chercheur non-local). Mais à condition que le chercheur est pleinement conscient de cette tendance et qu’il se met en garde contre elle et qu’il se familiarise avec les traits phonologiques traditionnels du dialecte en question, nous sommes confiants que cette difficulté peut être surmontée. Là où des chercheurs ont recueillis et publiés des prononciations de toponymes bretons en ignorant le dynamisme de l’interférence on est susceptible de trouver beaucoup de fausses données.
Tertio – Se méfier des connaissances lettrées.
Même chez les bretonnants traditionnels, il faut préférer ceux-là sans aucune prétention savante dans leur langue sur les individus lettrés ou intellectuels. Dans un premier temps, si l’on se renseigne pour trouver des informateurs dans une commune particulier, on est presque toujours présenté des personnes connues pour leur connaissances intellectuelles sur la commune (individus qui ont fait paraître des livres ou articles, animateurs culturels, maîtres d’école, prêtres) mais pas souvent à des individus ‘ordinaires’ qui n’ont pas prétension d’instruire les autres. Le gros des bretonnants ne cherchent pas la reconnaissance publique et sont, sinon timides, en besoin d’être convaincus qu’ils peuvent être utiles au démarche du toponymiste de terrain pour les aider à inventorier correctement les toponymes bretons d’après les connaissances locales. Et gagner la confiance de personnes qui ne s’attendent pas à être intérogées est une gageure des plus importantes pour permettre au toponymiste de terrain d’achever ses objectifs (on doit élaborer ailleurs, et de manière plus profonde, certaines méthodologies et questions liées à l’engagement réussi de collaborateurs locaux dans la mission de préservation pour la science des prononciations bretonnes traditionnelles des toponymes bretons, voir sous 3.04).
Tout cela dit, on peut accepter un lettré bretonnant en tant qu’informateur sur la prononciation des toponymes sous réserve qu’ils sont manifestement capables de distinguer leurs connaissances livresques de leur connaissances naturelles. Sinon, la valeur d’un informateur lettré est plutôt négative dans la mesure qu’ils sont plus enclins à fournir des prononciations dérivées d’une préférence qu’ils ont accordés aux formes écrites plutôt qu’à des prononciations représentatives employées couramment dans la communauté langagière bretonne de leur district au XXe siècle.
Quarto – Le recours aux semi-locuteurs et non-locuteurs traditionnels.
On devra dans certaines régions se contenter de semi-locuteurs, voir même de non-locuteurs pour essayer de recueillir les prononciations traditionnelles des toponymes bretons. Nous ne berçons pas d’illusions que nous suppléerons l’absence de bretonnants qui parlent la langue couramment, mais nous ne rejétons pas à priori la possibilité que des informations utiles sur la prononciation d’origine des toponymes bretons existent dans la tradition orale quand bien même que la langue ait basculer du breton au français (où même au gallo dans certaines communes près de la frontière linguistique).
Quinquo – Les principes de transcription phonétique du HLBI
Nous avons placés cette rubrique en dernier pour ne pas effrayer les lecteurs intéressés qui seraient déroutés par la transcription phonétique (voir aussi la rubrique nº 4, ci-dessus).1Nous avouons volontairement que cette rubrique a proprement sa place dans la section phonétique du site du HLBI, mais elle a une telle importance qu’il vaut vraiment la peine qu’on le répète … . Il concerne particulièrement ceux qui oseraient s’adventurer à transcrire en symboles phonétiques des prononciations entendues (mais, réalistes, nous admettons que s’initier pour la première dois à la transcription phonétique est susceptible de susciter des appréhensions chez beaucoup de contributeurs potentiels, et – somme toute – le HLBI peut tout aussi bien être servi par des simples enregistrements provenant d’entretiens chez des informateurs). La manipulation de symboles phonétiques n’est absolument pas requis de personnes qui seraient prêtes à faire des enquêtes autour des prononciations breteonnes des noms de lieux d’une contrée particulière (sous condition qu’ils enregistrent les réponses des informateurs et les relaient au HLBI où une personne compétente en transcription phonétique fera le reste). Le reste de cette rubrique s’adresse à priori à ceux qui font – ou du moins qui tentent – de faire des transcriptions phonétiques.
Il faut impérativement se débarasser du parti pris trop enraciné depuis la domination du structuralisme linguistique, vers le milieu du XXe siècle, qui fait de la précision phonétique qu’un simple effet accessoire d’une réalité phonémique sous-jacente beaucoup plus fondamentale. Sans entrer, ici, dans une justification qui s’avèrerai trop long, nous déclarerons, en termes un peu reducteurs il est vrai, que la conception hégémonique de la phonémie dans le langage humain est une idéologie qui se heurte à la nature d’une langue dans son emploi réel dans toute communauté langagière. Une appréciation descriptif phonétique par beaucoup trop sommaire de tout et n’importe quelle langue de la part de linguistes – mêmes ce qui s’intéressent à la prononciation – masque la variation et dynamisme qui fait partie intégrale du langage humain dans son emploi réel, et cela d’autant plus en ce qui concerne les langues qui ont acquis un haut degré de standardisation. Il sied de tenir toujours en compte que l’organisation phonémique d’une langue, qui a son importance, est tout aussi bien une interprétation de la réalité linguistique qu’il en est un vecteur directeur. Ceci doit être mieux compris des dialectologues, géolinguistes, sociolinguistes et variationnistes aguerris qui ont comparés les déclarations théoriques de la phonémie structuraliste aux expériences et aux données qu’ils ont pu recueillir. N’importe quel inventaire de sons fondamentaux basiques qu’on décidera d’employer pour transcrire en symboles API un parler ciblé manquera toujours de cerner effectivement le degré de déviation qualitatives des sons énoncés qu’ils auront pu recueillir. Ce déficit transcriptionnel n’est pas simplement dû à une interprétation fautive de la part des linguistes descriptivistes – bien que cela joue aussi un rôle – mais dû à un défaut dans la théorie phonémique qui veut comptabiliser un inventaire exact de sons qui ont droit au statut élevè de phonème.
Non seulement il y a toujours des sons intermédiaires qui ne se classifient pas aisément entre deux ‘phonèmes’ qui peuvent être à divers degrés stables ou fluctuants, mais le degré d’instabilité tendera à nous indiquer des ‘allophones’ (terme bien structuraliste somme toute) qui dans beaucoup de cas constituent des ‘phonèmes’ disparaissants ou naissants. L’existence de ‘phonèmes mi-présents’ en contexte de temps réel dans un parler, aussi bien qu’en contact spatial avec d’autres ‘dialectes’ où ces ‘phonèmes mi-présents’ se métamorphosent souvent au fur et à mesure, et cela presque imperceptiblement, progressant d’un niveau intrapersonnel, puis intrapersonnel, puis intradialectal, jusqu’à un niveau interdialectal pour acquérir un statut incontroverté de ‘phonème’ dans un parler voisin est digne de l’attention du linguiste descriptiviste, surtout dans le contexte géolinguistique d’un œuvre qui a pour but comme le HLBI de décrire le changement de traits de phonétique et de dialectes à travers le vaste territoire linguistique qui est la Basse-Bretagne. L’idéologie phonémique a prétendu un certain temps fournir une rigoureuse délinéation ‘scientifique’ de ce que constitue un son fondamental dans toute variante ciblée particulière du langage humain, mais a peut-être surtout contribué à fausser notre appréciation de la nature des sons du langage (voir Wmffre 2013a: 375–445).
C’est pour cette raison que nous préconisons une transcription phonétique plutôt étroite que large dans le cadre d’une transcription ‵supra-oppositionnelle′ (voir cette entrée sous 5.01). Reconnaissons que la realité phonétique du langage humain est floue et que nous ne pouvons qu’essayer de montrer les aspects les plus représentatifs qui vont plus loin (donc supra) qu’un simple opposition phonémique. Que toute tentative de description phonétique d’un parler ciblé aura forcément des défaillances et des lacunes ne doit pas nous empêcher de tenter de décrire les traits représentatifs essentiels de ce parler, au niveau dynamique aussi bien que le niveau ‘structurel’. En décrivant la ‘phonétique’2‘Phonétique’ entre guillemets puisque notre entendement du terme dans une optique supra-oppositionnelle ne signifie en nul point nier une importance à l’aspect phonémique ou contrastif de l’ordonnement des sons. d’une parler ciblé nous devons toujours admettre que nous travaillons par nécessité dans une optique d’approximation concernant le ‘micro-détail’3La phonétique instrumentale – devenu abusivement simplement ‘phonetics’ dans le monde anglo-saxon – peut se targuer de recueillir des mesures précis et relativement objectifs concernant la réalité acoustique des sons ou des aspeccts articulatoires qui sous-tendent ces mêmes sons, mais souvent dans un degré de détail bien trop minutieux pour cerner les faits pertinents d’ordre linguistique et surtout peut-être sans pouvoir à elle toute seule juger la représentativité de ce qui est souvent recueilli par elle dans des conditions qui sont loins d’être propices à un emploi conversationnel naturel du langage. Il reste à voir si le progrès de l’instrumentation changera cette évaluation dans l’avenir, mais nos critiques de la phonétique instrumentale ayant été faites nous restons convaincus que la phonetique instrumentale a une place importante en tant que soutien auxiliaire de la description linguistique, et cela surtout pour démêler des controverses quant au qualités acoustiques ou aux aspects articulatoires de certains sons. En tous cas, pour le moment, nous ne voyons point comment on pourrait élaborer une description phonétique valable d’un parler ciblé sans le concours d’un chercheur qui se charge de faire des entretiens et de converser en personne avec des locuteurs de ce parler. et que nous cherchons avant tout la représentativité de la description et de l’utilité qu’il procura aux lecteurs.
POSTÉ décembre 2020.
Notes
↑1 | Nous avouons volontairement que cette rubrique a proprement sa place dans la section phonétique du site du HLBI, mais elle a une telle importance qu’il vaut vraiment la peine qu’on le répète … . Il concerne particulièrement ceux qui oseraient s’adventurer à transcrire en symboles phonétiques des prononciations entendues (mais, réalistes, nous admettons que s’initier pour la première dois à la transcription phonétique est susceptible de susciter des appréhensions chez beaucoup de contributeurs potentiels, et – somme toute – le HLBI peut tout aussi bien être servi par des simples enregistrements provenant d’entretiens chez des informateurs). |
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↑2 | ‘Phonétique’ entre guillemets puisque notre entendement du terme dans une optique supra-oppositionnelle ne signifie en nul point nier une importance à l’aspect phonémique ou contrastif de l’ordonnement des sons. |
↑3 | La phonétique instrumentale – devenu abusivement simplement ‘phonetics’ dans le monde anglo-saxon – peut se targuer de recueillir des mesures précis et relativement objectifs concernant la réalité acoustique des sons ou des aspeccts articulatoires qui sous-tendent ces mêmes sons, mais souvent dans un degré de détail bien trop minutieux pour cerner les faits pertinents d’ordre linguistique et surtout peut-être sans pouvoir à elle toute seule juger la représentativité de ce qui est souvent recueilli par elle dans des conditions qui sont loins d’être propices à un emploi conversationnel naturel du langage. Il reste à voir si le progrès de l’instrumentation changera cette évaluation dans l’avenir, mais nos critiques de la phonétique instrumentale ayant été faites nous restons convaincus que la phonetique instrumentale a une place importante en tant que soutien auxiliaire de la description linguistique, et cela surtout pour démêler des controverses quant au qualités acoustiques ou aux aspects articulatoires de certains sons. En tous cas, pour le moment, nous ne voyons point comment on pourrait élaborer une description phonétique valable d’un parler ciblé sans le concours d’un chercheur qui se charge de faire des entretiens et de converser en personne avec des locuteurs de ce parler. |