Nous sommes conscients que la majorité des lecteurs contemporains seront plus habitués aux formes écrites du breton écrit en orthographe KLTG-ZH (orthographe lancée en 1941 et se voulant peurunvan ‘complètement unifié’), mais nous les rappellons que certains bretonnants – dont l’auteur de ces lignes – ne se sont jamais ralliés à cette orthographe pour des raisons pratiques liées aux rapports entre l’écriture et le breton parlé avec lequel ils étaient familiers. Notre point de départ sera donc, forcément, différent de ces lecteurs précités, et nous les prions de toujours tenir ceci en compte en lisant ce qui s’ensuit.
Point de départ orthographique
Comme nous l’avons dit dans la présentation, le HLBI a pris les codifications réformées du breton du début du XXe siècle comme points de départs. Ces réformes sont incarnées dans les ouvrages suivants:
- KLT originel (1907): Vallée La langue bretonne en 40 leçons (1909), Jaffrennou Dictionnaire français–breton de poche (1914), Ernault Geriadurig brezonek–gallek (1927), Hemon Nouveau dictionnaire breton–français (1927), Vallée Grand dictionnaire français–breton (1933). 1Notez que l’Accord des Écrivains de 1907 ne représentait que les grandes lignes d’une unification orthographique bretonne, et que le dictionnaires de Jaffrennou, d’Ernault et de Vallée, continuèrent à admettre un certain degré de tolérance quant aux variations écrites des mots. C’est Hemon qui a monté l’uniformisation d’un cran dans les années 1920 (en 1932, par exemple, il critiquait l’admission de amañ et ama par Vallée [Wmffre 2007: 60]).
- vannetais (1902): Guillevic & Le Goff Grammaire bretonne du dialecte de Vannes (1902), Ernault Dictionnaire breton-français du dialecte de Vannes (1904). 2Herrieu, le dernier éditeur de textes vannetais à cette époque, commença, dès le début des années 1920, mais surtout dans les anées 1930, à modifier le vannetais écrit dans son revue Dihunamb dans la direction du KLT [Wmffre 2007: 39-40].
Nous n’avons pas pris compte des codifications réformées qui se veulent ‘transdialectales’ (KLTG-ZH 1941, KLTG-SS 1975 et d’autres, moins repandues) puisque, appliqué à l’orthographe du breton, le principe de la transdialectalisation n’est pas compatible avec le principe du mimétisme qui nous est fondamental. 3Le développement de l’orthographe bretonne au XXe siècle et des débats orthographiques et politiques souvent ardents et envénimés qui l’accompagnèrent est chroniqué en grand détail dans Wmffre Breton Orthographies and Dialects (2013). Le développement et les débats orthographiques du XIXe siècle, qui continuèrent jusqu’en 1907, et le détail concernant le breton vannetais au XXe siècle, tous deux, attendent des études plus exhaustives.
En plus du KLT de 1907, nous prenons en compte l’orthographe KLT-H de 1955 (dite ‘universitaire’) – fruit des recherches et opinions de François Falc’hun, phonéticien, dialectologue et professeur universitaire de breton – puisque cette orthographe appliqua des réformes qui tentaient d’améliorer le rendement mimétique du KLT. La réforme KLT-H est incarnée dans les ouvrages suivants:
- KLT-H (1955): Stéphan & Seité Lexique breton–français et français–breton (1956), Seité & Stéphan Deskom brezoneg: méthode de breton (1957), Hélias Dictionnaire Breton (1986).
En plus du standard vannetais de 1902, nous prenons en compte les réformes mises en œuvre, petit à petit et par étapes, dans la revue vannetaise Dihunamb de Loeiz Herrieu entre 1930 et 1944. Bien que jamais codifiées par grammaire ni par dictionnaire, les réformes de Dihunamb étaient les réformes du seul périodique vannetais de l’époque avant l’effondrement de la société bretonnante (un périodique important qui a fortement influé la la littérature vannetaise et reste toujours de référence). À un degré beaucoup moindre, nous tenons compte de certaines réformes adoptés par Mériadeg Herrieu dans ses dictionnaires vannetais (1981, 2001) et ses manuels bretons (1965, 1974, 1979) dont les premiers étaient des adaptations de manuels de breton KLT de Visant Seité.
Faut-il le rappeler ? Les diverses orthographes du breton littéraire – soit KLT, soit transdialectales KLTG – ne sont pas trop difficiles pour ce qui est de l’intercompréhension entre eux. Si les enseignants, étudiants et les apprenants peuvent tous êtres frustrés par la variation orthographique, il s’agit vraiment d’ignorance ou de mauvaise volonté pour qu’on dise que l’une ou l’autre est illisible pour raison d’orthographe.
Par contre, si le standard littéraire du vannetais traditionnel est jugé plus déroutant, cela découle surtout du fait que c’est un standard ‘minoritaire’ dans l’optique de l’ensemble du pays bretonnant et qu’il n’est employé réguliérement depuis 1981 que par le trimestriel An Doéré, et cela dans une version hybride du standard vannetais. En fait, depuis les années 1960, il y a eu peu d’usage du vannetais standard sans hybridisation dans la direction des conventions orthographiques des parlers KLT. Cela est vrai aussi pour la version hybride du vannetais prôné par les livres de référence de Mériadeg Herrieu (qui ne semble pas avoir fait long feu). 4Fait curieux, les tenants de l’orthographe KLTG-ZH ont, dans la pratique, une tolérance pour des formes vannetaises qu’il ne daignent pas montrer aux autres grands dialectes régionaux KLT. La déchéance de l’usage d’un standard vannetais se montre par le fait que dans la Nouvelle grammaire bretonne du dialecte de Vannes (vannetais standard) (2017) de Loïc Cheveau, les exemples, certes, sont fournis en standard vannetais mais le sont toujours précédés d’une version en KLTG-ZH en caractères gras, ce qui semble consigner la version vannetaise standard à un statut de curiosité linguistique et historique plutôt qu’à celui d’une orthographe toujours active. 5On trouve le même ordre de précédence des orthographes dans des ouvrages destinés à illustrer des versions régionaux – voire historiques – du breton dans, par exemple, Le breton des rives de l’Aven et du Bélon (2017) de Mona Bouzec et al. qui présente les entrées en KLTG-ZH en caractères gras suivis de formes mimétiques. Ces choix dans l’ordre de précédence de systèmes orthographiques ont leurs raisons et justifications, mais ont aussi, malheureusement, tendance à banaliser l’usage des graphies qui rendraient mieux compte des formes réelles des variétés langagières qu’on tente de décrire. Nous préférons la présentation de Christian Fagon & Yann Riou dans leur Trésors du breton de l’Île de Sein (2015) qui mettent en avant les formes mimétiques du dialecte de Sein tout en indiquant une forme KLTG-ZH à la fin de l’entrée. Dans la même ordre des choses, la précédence donné au français dans des grands atlas consacrés au breton (ALBB, NALBB) se comprend pour des raisons de rationalisation mais demeure néanmoins frustrant pour les chercheurs ; le choix d’un mot breton en tant qu’entrée se défend bien, il n’y a qu’à se reporter à l’Atlas linguistique de la région de Pontivy (1994) de Rolland pour s’en rendre compte. À cause des variantes lexicales susceptibles à se trouver dans chaque carte d’un atlas linguistique, la vraie critique n’est pas tellement la langue choisie pour les entrées mais l’absence d’index de tous les mots rencontrés dans les cartes (et, idéalement, un index des sons rencontrés dans les cartes catalogués selon leur positionnement vis-à-vis l’accentuation et le sandhi).
Voilà pour ce qui est du contexte orthographique qui sous-tend notre travail. Il nous reste à inventorier les différences orthographiques du KLT réformé en partant de l’orthographe KLT-H, puis les diverses modifications de ceci pour améliorer le rendement mimétique dont les buts du HLBI requièrent.
Faiblesses mimétiques du standard KLT (Vallée & Ernault)
Nous prenons les dictionnaires d’Ernault (1927), Hemon (1927, 1928b), et Vallée (1933) en orthographe KLT comme points de référence. Voici les principales conventions de cette orthographe que nous ne suivons pas :
- Le KLT adopta en 1907 l’idée de différencier l’usage substantival et non-substantival (principalement adjectival) des mêmes mots avec l’emploi du lénis des occlusives (b-d-g) et de la fricative z, donc : mad ‘bien’, brezoneg ‘(le) breton’, (ar) braz ‘(la) grandeure’, pour l’usage substantival, contre l’usage du fortis des occlusives (p-t-k) et de la fricative s pour l’usage non-substantival, donc : mat ‘bon’, brezonek ‘breton’, bras ‘grand’. Cette distinction s’inspirait d’une tentative moins méthodique de la même distinction operée pour le vannetais quelques années auparavant dans la grammaire de Guillevic & Le Goff (1902) qui avaient innové cette convention dans des termes beaucoup moins tranchants (“on est convenu de préférer”). L’idée d’une consonne fortis pour marquer un adjectif était renforcée par des faits de dérivation où la fortition de la consonne lénis par certaines suffixes n’était pas reconnue, p. ex. : braz ‘grand’ → brasoc’h ‘plus grand’ (ce qui explique aussi qu’on écrivait même des substantives tels que gobr ‘gage’, gwab ‘moquerie’ comme gopr, goap en KLT à cause de dérivatives avec suffixe fortifiant tels que gopraad ‘payer’, gopreer ‘employé’, gwapaad ‘se moquer’, gwapeer ‘moqueur’). Ce dédoublement artificiel des formes des mots créa une difficulté inutile, surtout pour les bretonnants de souche puisque cela ne correspondait avec rien dans la prononciation. Il n’y a que voir le nombre de signes publicitaires, datant du XIXe siècle et de la première moitié du XXe siècle, époque où la société bretonnante battait son plein, affichant qu’ils vendaient du gwin mad ‘bon vin’ pour voir à quel point la graphie mat pour ‘bon’ est en décalage par rapport aux réalités phonologiques du breton. Plus ou moins tous les spécialistes du breton depuis la thèse complémentaire de Falc’hun (1951) ont critiqué cette aberration orthographique du KLT, et toutes les tentatives sérieuses de réforme de l’orthographe bretonne (1955 KLT-H, 1975 KLTG-SS) ont choisies les formes lénis de la consonne finale pour les adjectifs. La seule défense sérieuse qu’ont pu donner les tenants du KLTG-ZH pour le maintien de cette différentiation factice était celle de la continuité avec le mauvais choix entériné par les proposeurs du KLT en 1907 (bien que l’orthographe KLTG-ZH elle-même – datant de 1941 – est l’antithèse d’une continuité avec le KLT). [Voir : Wmffre 2007: 513–27 | Madeg 2010: 20–21, 39–41, 95–104, 107, 123, 130 | Le Ruyet 2012 | Le Ruyet & Boché 2019: 56–62, 65–69, 191–99.]


- L’orthographe KLT de 1907 choisit d’écrire indifféremment avec <ae> trois vocalismes bien distincts dans l’histoire de la langue bretonne ainsi que dans les dialectes et nous prenons trois mots à consonantisme semblable pour illustrer ces différences : lêz ‘lait’ | laer ‘voleur’ | läeƶ ‘haut’. L’orthographe KLT écrivait ces mots : laez | laer | laez, pourtant ces trois mots se prononcaient différemment et avaient des origines différentes : (1) lêz ‘lait’ provenait effectivement du moyen-breton laez (sans doute hiatisme), mais il s’était monophtongué en lêz aussi tôt que 1500 et c’est cette version monophtonguée qui se fractura en leaz dans le Léon et ses abords et s’employait couramment dans la littérature bretonne avant l’accord KLT de 1907 ; (2) laer ‘voleur’ provenait du moyen-breton lazr (avec le z représentant une fricative dentale [ð] sans doute), mais la fricative médiale s’était réduite, ne laissant qu’une voyelle e, d’où la prononciation hiatique ‘läer’ du Léon et d’autres parties occidentales du Finistère. Partout ailleurs dans le pays bretonnant le vocalisme de ce ‘läer’ se monophtongua en ‘lèr’ (avec [ɛ·]) qu’on continua d’écrire laer dans toutes les orthographes bretonnes subséquentes pour des raisons de continuité ; (3) läeƶ ‘haut’ provenait du moyen-breton lahez, mais à cause de l’amuïssement du h-intervocalique donna läeƶ. Ce mot remplacé par nec’h (et d’autres variantes de krec’h) dans la plupart de la Cornouaille et le Trégor, se conserva partout comme läez dans le Léon et läe dans l’ouest Cornouaille et aussi dans la région côtière de la sud Cornouaille où il coexistait avec la prononciation monophtongale de laer. Il est clair que ces trois vocalismes concernés ont tous connus des réalisations [aɛ] à un moment donné, mais pas toujours à la même époque, ce qui explique qu’ils ne se sont pas – globalement – confondus, sauf localement. Il était anachronique d’écrire ‘lait’ comme laez en 1907 – et cela depuis quelques siècles6Grégoire de Rostrenen, dans son dictionnaire de 1732, écrivait laëz ‘haut’ comme laër ‘voleur’, mais pas læz ‘lait’ en dépit du fait qu’une distinction si fine entre ligature <æ> et non-ligature <ae> finirait par laisser comprendre læz comme laez, ce qui semble bien s’être produit. – ainsi que beaucoup d’autres mots dans cette classe : ael | aer | aes | bae | fae | faez | flaer | hael | kaez | mae | maen | maer | maez | saez | sklaer | straed | taer | np. Mikael | np. Mael | participes passés graet, aet, –aet | 3Psg PRÉS-HAB rae (ober), ae (mond).7Seule une poignée de ces mots semblent avoir conservés le hiatisme ae [aɛ] du moyen-breton au lieu de la fracture ea [ea] normal dans le Léon – à une exception près (taer), dans des syllabes libres, exx. : bae | fae | kae | mae | pae | sae –, ce qui représente mal le breton moderne, surtout que kea et sea du moins sont attestés aussi dans le Léon. Seul les mots kêr et stêr semblent avoir échappés à cette orthographe archaïsante, et l’orthographe KLT-H rectifia cette incohérence en 1955 en adoptant <ê> pour tous les vocalismes de cette classe (et –eet pour les participes passés). Le KLTG-SS de 1975 fit le mauvais choix – à notre sens – de retenir <ae> pour le vocalisme de lêz et de ne pas différencier son vocalisme de celui de laez ‘haut’ qui est à peu près toujours hiatique ou diphtongale, mais par contre de distinguer ces deux vocalismes de làer qui lui est – contrairement à ce que suggérerait l’accent grave sur le a – monophtongal dans la plus grande partie de la Bretagne bretonnante. [Voir Wmffre 2007: 605–10.]
Faiblesses mimétiques du standard KLT réformé (Falc’hun, l’orthographe KLT-H)
Nous prenons les dictionnaires de Stéphan & Seité (1956), et Hélias (1986) – ce dernier appelé communément le dictionnaire ‘Garnier’ – en orthographe KLT-H comme point de référence. Voici les principales conventions de cette orthographe que nous ne suivons pas :
- Puisque la décision du KLT-H d’écrire les formes lénis des consonnes appariées fortis/lénis (ex. mad au lieu de mat) fut favorablement reçu sauf chez les tenants du KLTG-ZH, il semble étrange que le même principe ne fut pas appliqué plus cohéremment, p. ex. : –ed au lieu de –et pour le suffixe du participe passé. Cela était, d’ailleurs, vers la fin de sa fie, l’opinion mesurée de Falc’hun, l’architecte du KLT-H [Wmffre 2007: 524]. Nous adoptons l’emploi de la forme lénis de tels consonnes. [Wmffre 2007: 523–25 ; Le Ruyet & Boché 2019: 195–99].
- L’emploi quasi-systématique de h pour c’h.8Il n’est pas toujours compris, qu’effectivement, l’orthographe KLT-H emploie c’h dans le groupe consonantique c’hw initial. Des considérations concernant le breton léonard ont fait que l’orthographe KLT-H écrit c’hweh plutôt que hweh pour ‘6’, mais ceci est un contre-sens à la prononciation bretonne majoritaire qui demanderait plutôt qu’on écrirait le mot mimétiquement comme hwec’h. Si l’emploi quasi-systématique de h au lieu de c’h fonctionne assez passablement pour un standard littéraire, cela ne va pas de soi pour ce qui est du rendement mimétique quand il s’agit d’opposer des dialectes avec c’h initial, médial ou sandhi-lénis contre d’autres dialectes qui n’ont que h ou gh dans ces positions. Ce que nous proposons est de remettre c’h à l’honneur dans le breton standard et d’accepter qu’on écrive h pour des raisons mimétiques là où il se prononce ainsi, donc le sec’ha littéraire se prononce sehi, zehi, seha, zeha, zehañ, zeho dans la plupart des dialectes, mais sec’hi, zec’hi dans les dialectes cornouaillais central et sud, aussi bien que seghi, zeghi dans une frange côtière de la Cornouaille sud et segha dans une frange côtière très restreinte du nord-ouest Léon (NALBB 157).
- Le KLT en 1907, le KLTG-ZH en 1941 et le KLT-H en 1955 ont entérinés l’innovation de Le Gonidec en 1807 d’employer le w– comme lénition de gw– devant les voyelles antérieures i-e. Ferru d’idées cartésiennes issues du Siècle des Lumières, Le Gonidec voulait remplacer l’usage d’écrire go– devant la voyelle centrale a et gu– devant la voyelles antérieures i-e (exx. goasq, gueren, guis) par gw-, mais en opérant cette ‘rationalisation’ orthographique il insistait que la lénition elle aussi serait w– devant toute voyelle, même les voyelles antérieures où sa réalisation était v– dans la plus grande partie du domaine KLT (les lénitions s’écrivaient antérieurement à Le Gonidec : ar voasq, ar veren, ar vis). Donc ce qui s’écrivait ar veren ‘la verre’, selon la prononciation, devenait ar weren. Le Gonidec fit appel à la prononciation trégorroise (où l’on prononce justement ar werenn) pour justifier ce choix parce qu’il était “plus conforme aux caractère distinctif des langues primitives” et “plus analogue au génie de la langue Celto-Bretonne” (!). Il n’y a aucune doute que la complication de diviser la lénition de gw– en w– devant a et v– devant i-e le gênait, mais. dans une certaine mesure, l’emploi de w- devant i-e ne troublait pas la prononciation puisque le graphème w, restreint au mots d’emprunts en français au XIXe siècle, se prononçait [v] et non [w] (comparer les emprunts de l’anglais : wagon vago͂ emprunt du milieu du XIXe siècle associé au développement des chemins de fer en France, contre des emprunts datant du milieu du XXe siècle week-end wikɛnd, western wɛstɛʁn). Quoi qu’il en soit, hors le courant gonidécien, la littérature bretonne du fin XIXe siècle continuait d’écrire la lénition comme v– devant i-e jusqu’à que l’accord de 1907 décida d’entériner la convention de Le Gonidec. Vallée répeta les arguments de Le Gonidec qu’écrire la lénition de gw– comme w– devant i-e “simplifie beaucoup la règle des mutations” sans tenir compte que cela gênerait la prononciation dans la plus grande partie du domaine du KLT. La lénition en w– devant i-e était un fait dialectal en breton moderne, propre à la prononciation trégorroise et celle de l’Entre-Odet-et-Ellé (réalisation palatalisée [ɥ] dans cette dernière région). Pour avoir été rationnel, le changement de la lénition de gw– en w– devant i-e aurait dû être accompagné d’un changement de v-intervocalique en w-intervocalique partout où il représentait un ancien w comme il l’était resté dans le Trégor (exx. : newe, dewez, kawell), et à moindre mesure dans l’est de l’Entre-Odet-et-Ellé (exx. néo, déoz, kaol). Mais la préservation de w à l’intervocalique couvrait un territoire plus restreint que le w-lénifié donc il existait toute une zone tampon assez circonscrite séparant le trégorrois central des autres dialectes – serpentant du Goëlo, par Plougonver et Guerlesquin et retournant à la mer à Plestin – qui constituait un pays où l’on dit ar Wern mais neve plutôt que newe. De même, si tout l’Entre-Odet-et-Ellé dit ar Wern (avec [ɥ]), néo – et tous les autres mots avec w précédant i-e en contexte médial – est restreint à la partie est, tandis qu’à l’ouest d’une ligne englobant les communes de Scaër et Riec on dit plutôt nê ~ néy ~ neve, formant comme dans le trégorrois une zone tampon. Par coïncidence ces deux zones tampons, ainsi décrites, s’accordent avec l’usage irrationnel gonidécien de w et v devant les voyelles i-e mais partout ailleurs, dans les 9/10èmes du domaine KLT. Inutile de le nier, cette manque de rationalité orthographique entre en conflit avec la langue de la majorité écrasante des bretonnants qui prononcent soit v, soit w. L’orthographe de 1975 adopta w globalement, ce qui est préférable à ce que fait l’orthographe KLT-H, mais nous adoptons v globalement pour la langue littéraire, en accord avec l’usage majoritaire du domaine KLT, tout en acceptant l’usage de w dans les dialectes là où il s’emploie. [Voir Wmffre 1907: 547–53.]
Faiblesses mimétiques du standard vannetais (Le Goff, Ernault)
Le standard vannetais connu par les dictionnaires et les grammaires du premier quart du XXe siècle est présenté d’une façon utile par Loïc Cheveau dans son Nouvelle grammaire bretonne du dialecte de Vannes, toujours est-il que le dictionnaire d’Ernault (1919) présentait plusieurs variantes dans ses entrées qui ne semblaient pas toujours présenter une cohérence entre eux, p. ex. l’entrée “Breih, Bréh” ‘Bretagne’ ne s’accorde pas avec l’entrée “tréh, treih” ‘passage’. Voici les principales conventions de cette orthographe que nous ne suivons pas :
à venir
Faiblesses mimétiques des réformes ‘dihunambiennes’ du standard vannetais (Herrieu)
à venir
Il va sans dire que le standard vannetais était un standard haut-vannetais et qu’il ne représentait pas convenablement presque un tiers du pays vannetais (le Bas-Vannetais, Groix, Belle-Île-en-Mer). La maladresse du standard vannetais pour l’écriture de leur breton explique la tendance plus marquée chez les Bas-Vannetais à se rapprocher et adopter les conventions graphiques du KLT contenues dans les orthographes transdialectales du breton. Katekiz en Arhanaou à venir
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Modifications orthographiques apportées par le HLBI
Si, pour ses entrées et les discussions dialectales, la démarche du HLBI est d’écrire le breton selon la tradition (nous devons bien sûr dire selon les deux grandes traditions qui sont le KLT et le vannetais) force est d’admettre que la découverte de faits divergentes dans les variantes régionales des parlers bretons – parfois d’ascendance vénérable – nous a obligés de trouver des solutions orthographiques nouvelles, inédites ou peu communes. Pour ce qui est des principes qui soutiennent notre démarche, voir 7.06 Degrés de mimétisme, et pour le détail des modifications apportés par le HLBI, voir 7.07 Conventions mimétiques adoptés par le HLBI.
POSTÉ 2020. Iwan Wmffre.
Notes
↑1 | Notez que l’Accord des Écrivains de 1907 ne représentait que les grandes lignes d’une unification orthographique bretonne, et que le dictionnaires de Jaffrennou, d’Ernault et de Vallée, continuèrent à admettre un certain degré de tolérance quant aux variations écrites des mots. C’est Hemon qui a monté l’uniformisation d’un cran dans les années 1920 (en 1932, par exemple, il critiquait l’admission de amañ et ama par Vallée [Wmffre 2007: 60]). |
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↑2 | Herrieu, le dernier éditeur de textes vannetais à cette époque, commença, dès le début des années 1920, mais surtout dans les anées 1930, à modifier le vannetais écrit dans son revue Dihunamb dans la direction du KLT [Wmffre 2007: 39-40]. |
↑3 | Le développement de l’orthographe bretonne au XXe siècle et des débats orthographiques et politiques souvent ardents et envénimés qui l’accompagnèrent est chroniqué en grand détail dans Wmffre Breton Orthographies and Dialects (2013). Le développement et les débats orthographiques du XIXe siècle, qui continuèrent jusqu’en 1907, et le détail concernant le breton vannetais au XXe siècle, tous deux, attendent des études plus exhaustives. |
↑4 | Fait curieux, les tenants de l’orthographe KLTG-ZH ont, dans la pratique, une tolérance pour des formes vannetaises qu’il ne daignent pas montrer aux autres grands dialectes régionaux KLT. |
↑5 | On trouve le même ordre de précédence des orthographes dans des ouvrages destinés à illustrer des versions régionaux – voire historiques – du breton dans, par exemple, Le breton des rives de l’Aven et du Bélon (2017) de Mona Bouzec et al. qui présente les entrées en KLTG-ZH en caractères gras suivis de formes mimétiques. Ces choix dans l’ordre de précédence de systèmes orthographiques ont leurs raisons et justifications, mais ont aussi, malheureusement, tendance à banaliser l’usage des graphies qui rendraient mieux compte des formes réelles des variétés langagières qu’on tente de décrire. Nous préférons la présentation de Christian Fagon & Yann Riou dans leur Trésors du breton de l’Île de Sein (2015) qui mettent en avant les formes mimétiques du dialecte de Sein tout en indiquant une forme KLTG-ZH à la fin de l’entrée. Dans la même ordre des choses, la précédence donné au français dans des grands atlas consacrés au breton (ALBB, NALBB) se comprend pour des raisons de rationalisation mais demeure néanmoins frustrant pour les chercheurs ; le choix d’un mot breton en tant qu’entrée se défend bien, il n’y a qu’à se reporter à l’Atlas linguistique de la région de Pontivy (1994) de Rolland pour s’en rendre compte. À cause des variantes lexicales susceptibles à se trouver dans chaque carte d’un atlas linguistique, la vraie critique n’est pas tellement la langue choisie pour les entrées mais l’absence d’index de tous les mots rencontrés dans les cartes (et, idéalement, un index des sons rencontrés dans les cartes catalogués selon leur positionnement vis-à-vis l’accentuation et le sandhi). |
↑6 | Grégoire de Rostrenen, dans son dictionnaire de 1732, écrivait laëz ‘haut’ comme laër ‘voleur’, mais pas læz ‘lait’ en dépit du fait qu’une distinction si fine entre ligature <æ> et non-ligature <ae> finirait par laisser comprendre læz comme laez, ce qui semble bien s’être produit. |
↑7 | Seule une poignée de ces mots semblent avoir conservés le hiatisme ae [aɛ] du moyen-breton au lieu de la fracture ea [ea] normal dans le Léon – à une exception près (taer), dans des syllabes libres, exx. : bae | fae | kae | mae | pae | sae –, ce qui représente mal le breton moderne, surtout que kea et sea du moins sont attestés aussi dans le Léon. |
↑8 | Il n’est pas toujours compris, qu’effectivement, l’orthographe KLT-H emploie c’h dans le groupe consonantique c’hw initial. Des considérations concernant le breton léonard ont fait que l’orthographe KLT-H écrit c’hweh plutôt que hweh pour ‘6’, mais ceci est un contre-sens à la prononciation bretonne majoritaire qui demanderait plutôt qu’on écrirait le mot mimétiquement comme hwec’h. |