6.00 Approche du HLBI à la transcription phonétique
Le HLBI se veut d’être à la pointe dans ce qui concerne la phonétique pratique dans le contexte d’une linguistique dynamique, et il faut bien être pratique pour ne pas se perdre dans les détails sans importance. Mais pour savoir ce qui est important ou pas il faut comprendre notre optique.
Une optique dynamique qui privilégie les différences
La différence de base entre une approche phonétique et une approche phonémique pour ce qui est de la transcription de la prononciation est assez largement compris de tous ceux qui ont suivi des études de langue (ou du moins nous l’espérons). On a souvent soutenu qu’une des avantages que présente l’analyse phonémique proné par la linguistique structurelle est de pouvoir écrire une langue non-alphabétisée d’une manière satisfaisante. Tout cela est vrai, mais l’analyse phonémique dans la pratique montre un important inconvénient qui est d’oublier ou, au tout mieux, négliger les variantes existantes et de les caser à la périphérie du système préconisé pour l’écriture.
Pour la notation bretonne des noms de lieux, dans l’optique – finalement géolinguistique – que se donne le HLBI, il est important de noter les différences phonétiques récurrentes qui caractérisent chaque région, chaque paroisse, voir chaque vicinage en se basant sur les resources mimétiques du breton. En s’attaquant à un continuum linguistique le concept d’un ‘système’ phonémique se brise pour révéler une multitude de ‘systèmes’, qui se recoupent entre eux et même des faits qui ne semblent appartenir à aucun système décélable. Dans ces circonstances il faut privilégier les différences autant qu’un système phonémique privilégierait une uniformité.
Et pour ce qui est de la transcription phonétique, nous n’ignorerons pas les différences phonémiques du breton (mais s’il arrive que nous le fassions, ce serait une bévue) mais nous tacherons de décéler les allophones de phonèmes émergents (‵expansifs′) et éteignants (‵récessifs′) en adoptant une transcription phonétique dite ‘supra-oppositionelle’.
Qu’est-ce que la phonétique pratique ?
La phonétique pratique se reporte à la phonétique qui n’est pas prisonnier de certains approches phonologiques et instrumentales par trop repandues. Il y a des enseignements clairs à tirer de la phonologie et des résultats d’enregistrements et d’analyses instrumentales sur des aspects de la prononciation, mais – tout en ayant privilégié ces deux approches – on a beaucoup négligé le travail de prospection et de collectage de faits langagiers dans la société. Il y a des raisons bien concrètes pour cela : la prospection dialectologique (soit géolinguistique ou simplement pour établir la description d’une communauté langagiere) demande beaucoup de temps pour acquérir des résultats fiables. Mais il n’y a aucun autre moyen de bien faire de la linguistique dynamique. Pour l’instant nous ne pouvons pas traîner tous les informateurs dans des locaux sonorisés pour en faire des enregistrements parfaits, et même ceux-là des informateurs qui seraient d’accord de participer à tel dérangement dans leur quotidien ne seraient pas forcément les plus représentatifs de la communauté langagière ciblée. Par la nature des choses, le prospecteur dialectologue entend beaucoup de prononciations qu’il ne peut enregistrer sur le coup, mais doit-il douter de tout ce qu’il entend parce-qu’il n’a pas les enregistrements ou qu’il n’a pas encore maîtriser tous les détails de la phonologie du dialecte en question ? Vouloir faire des études basés sur à compléter
Les particularités de la prospection des prononciations des noms de lieux
Sans nous préoccuper des points positifs et négatifs des stratégies qu’on peut employer pour mener à bien une enquête toponymique orale (voir sous 3.04), nous voulons souligner certains aspects particuliers à la prospection toponymique.
Primo: Un fait majeur qui doit être pris en compte dans la prospection toponymique est que les noms de lieux bretons – contrairement aux mots courants dans le breton quotidien des mêmes informateurs – ont gardé un usage en français, et non seulement un usage, mais une forme française propre qui n’est pas la forme bretonne traditionnelle. C’est tout pour dire, que – contrairement aux mots bretons quotidiens – les noms de lieux bretons ont des pendants français qui ont de plus en plus d’usage comme le breton se dissipe en tant que langue usuelle dans la société basse-bretonne. Cela explique aussi que la prononciation françisée des noms de lieux bretons peuvent être employés par les informateurs quand les chercheur leur pose la question “Comment s’appelle tel-et-tel lieu ?”. Hors de contexte d’une conversation naturelle en breton, dans un environnement, qui n’est pas sans rappeller l’environnement des examens scolaires, les informateurs peuvent bien donner aux chercheurs qui s’intéressent à la prononciation bretonne, une prononciation francisée puisque c’est souvent le cas, pour la plupart des noms de lieux bretons, que les bretonnants traditionnels n’ont jamais pensé qu’il existe de différences entre leur prononciation bretonne et française pour le même nom de lieu. Cette manque de réfléxion par les bretonnants ordinaires sur la question de la prononciation de ces noms va jusqu’à conduire certains de nos informateurs – perplexés par le dessein même du HLBI de recueillir les prononciations traditionnels – à déclarer : “Mais ici les noms de lieux se prononcent pareils en breton comme en français !”
Secundo: Une étude sur le breton de la dernière génération de bretonnants traditionnels, nés entre 1930 et 1960, peut s’attendre à pouvoir récolter beaucoup de mots et d’expressions usuels (avec leur prononciation) chez tous les informateurs, qui, pour l’instant, n’est pas un nombre négligeable. 1Une estimation grossière récente calcule que dans une commune rurale basse-bretonne de 1,000 habitants, qu’un chercheur sur le breton ne peut espérer avoir plus de 200 informateurs, et, dans la même optique, pas plus de 60 informateurs dans le même type de commune rurale n’ayant que 300 habitants. Cette proportion maximum d’informateurs est basé sur les suppositions suivantes que toute personne agée de plus de 60 ans (autour de 25% de la population) représente la génération qui a grandi au temps ou le breton était toujours la langue usuelle, ou du moins très présente dans leur entourage. Mais, bien sûr, il y a aujourd’hui une proportion d’étrangers parmi les anciens de chaque commune, soit français ou même britanniques, et la tranche la plus jeune des anciens a moins pratiquée le breton, donc cette proportion de 25% (et les nombres qui en résultent) sont à réviser à la baisse, pour donner plutôt une proportion maximale de bretonnants traditionnels de 20%. Et dans cette proportion de bretonnants traditionnels il y a un certain nombre qui ne seront jamais dispos à aider qui que se soit, soit pas dispos à cause de leur état de santé, ou simplement pas connu des chercheurs; et en ce qui concerne la proportion restante d’informateurs possibles il reste les difficultés – que nous ne développerons pas ici – de les persuader de prendre part dans une enquête inédite. Par contre, la forme bretonne de chaque nom de lieu est connu d’un nombre beaucoup plus restreint d’informateurs, et même plus connu du tout d’aucun vivant si le nom de lieu a cessé d’etre habité depuis très longtemps. Il est sûr que certains noms de lieux de ce type ont perduré dans seulement une famille à cause d’attaches familiales qui ont gardés le nom vivant pour des raisons nostalgiques plutôt que pratiques. Dans ces circonstances, le chercheur toponymique fait un travail de récupérage historique aussi bien qu’un inventaire des noms connus de toute la population des bretonnants d’une commune. Cela dit, du moment que l’on interroge des bretonnants conservant des solides liens avec le voisinage, ce chercheur reste surpris à quel point la mémoire de lieu est beaucoup plus précis et perdure beaucoup mieux que la mémoire chronologique qui perd vite en précision. 2Le folkloriste américain, Henry Glassie, spécialiste de la société rurale et la tradition orale du Fermanagh, dans son livre de chevet de 1982, Passing the Time in Ballymenone: Culture and History of an Ulster Community, conclua que les gardiens de la mémoire de la société traditionnelle irlandaise privilégeaient l’espace ou se déroulait l’action plutôt que la chronologie exacte des évènements racontés, qu’ils étaient très floues quant aux dates mais très précis quant aux lieux. Hormis les noms de lieux les plus connus dans un district, la forme bretonne véritablement traditionnelle de beaucoup de noms de lieux peut être un patrimoine très peu connu de nos jours.
Tertio: Tout comme les dialectologues géolinguistiques qui tentent de composer un atlas dialectal, le chercheur toponymique doit gagner la confiance d’informateurs sélectionnés seulement pour faire une ou deux interviews (ou, au tout plus, trois) avant de devoir partir pour refaire le même cirque ailleurs avec des nouveaux informateurs. Cette approche ‵effleurante′ des toponymistes et des géolinguistes tend à contraster avec l’approche ‵soutenue′ des dialectologues descriptivistes qui peuvent se permettre de passer nombre d’années avec les mêmes informateurs et de nouer des liens beaucoup plus solides avec eux d’où en découle une connaissance beaucoup plus complète d’une variété de langue que chez ceux qui pratiquent les approches ‵effleurantes′. Malgré cette disparité de profondeur entre différentes approches – on peut parler de méthodologies – qui cherchent à connaître les trait d’une variété de langue ciblée, on peut néanmoins espérer que les chercheurs toponymiques peuvent aussi être très bien informés sur un autre dialecte breton (souvent la leur) ou être, du moins, bien documentés sur les descriptions linguistiques du breton. Un fait capital qui joue sur le succès ou non d’une enquête toponymique ‵effleurante′, qui empêche les chercheurs de pouvoir nouer des liens d’amitié avec des informateurs très indulgents, est la possession par le chercheur d’un breton vraiment aisé et traditionnel. Cela peut faire la différence au chercheur entre une porte ouverte et une porte fermé et en plus (même qu’il serait admis chez les informateurs) peut fausser les donnés recueillis si l’ineptie langagière du chercheur lasse les informateurs et leur font dire n’importe quoi pour écourter l’interview, ou que l’amateurisme langagier du chercheur fasse en sorte que des questions évidentes pour ceux qui possèderaient le breton traditionnel ne sont pas repérés et poursuivis. Voilà une des raisons pour laquelle on aviserait un apprenant du breton d’étudier le breton d’un lieu en profondeur plutôt que d’effleurer beaucoup de dialectes sans jamais s’habituer proprement à aucun.
POSTÉ mai 2018.
Notes
↑1 | Une estimation grossière récente calcule que dans une commune rurale basse-bretonne de 1,000 habitants, qu’un chercheur sur le breton ne peut espérer avoir plus de 200 informateurs, et, dans la même optique, pas plus de 60 informateurs dans le même type de commune rurale n’ayant que 300 habitants. Cette proportion maximum d’informateurs est basé sur les suppositions suivantes que toute personne agée de plus de 60 ans (autour de 25% de la population) représente la génération qui a grandi au temps ou le breton était toujours la langue usuelle, ou du moins très présente dans leur entourage. Mais, bien sûr, il y a aujourd’hui une proportion d’étrangers parmi les anciens de chaque commune, soit français ou même britanniques, et la tranche la plus jeune des anciens a moins pratiquée le breton, donc cette proportion de 25% (et les nombres qui en résultent) sont à réviser à la baisse, pour donner plutôt une proportion maximale de bretonnants traditionnels de 20%. Et dans cette proportion de bretonnants traditionnels il y a un certain nombre qui ne seront jamais dispos à aider qui que se soit, soit pas dispos à cause de leur état de santé, ou simplement pas connu des chercheurs; et en ce qui concerne la proportion restante d’informateurs possibles il reste les difficultés – que nous ne développerons pas ici – de les persuader de prendre part dans une enquête inédite. |
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↑2 | Le folkloriste américain, Henry Glassie, spécialiste de la société rurale et la tradition orale du Fermanagh, dans son livre de chevet de 1982, Passing the Time in Ballymenone: Culture and History of an Ulster Community, conclua que les gardiens de la mémoire de la société traditionnelle irlandaise privilégeaient l’espace ou se déroulait l’action plutôt que la chronologie exacte des évènements racontés, qu’ils étaient très floues quant aux dates mais très précis quant aux lieux. |