Qu’est-ce que la linguistique dynamique ?
Depuis très longtemps le gros des troupes de la discipline linguistique s’attaque au phénomène de langage (dans le sens scientifique de la faculté langagière) 1Pour les incohérences de l’application de ce sens du mot ‵langage′, même chez Saussure et les linguistes qui l’ont suivi, voir Wmffre (2013: 7–11). comme s’il s’agissait simplement de décrypter des méchanismes logiques dans une structure langagière cohérente où ‘tout se tient’ pour citer le maxime bien connu associé aux enseignements de Saussure. 2Wmffre 2013: 18–20. Certes, cela constitue une des tâches principales de la linguistique, mais cette développement de la discipline a laissé de côté et a négligé une autre approche au phénomène du langage qui est, somme toute, tout aussi importante, celle du dynamisme inné de toute langue humaine, et donc, logiquement, du langage. S’attaquer aux langues humaines seulement du point de vue de systèmes logiques est nuisible à la compréhension de ce qui fait le langage.
Ce qui est laisse pantois dans cette insistance contemporaine du gros de la discipline linguistique sur une cohérence structurelle est que les pionniers scientifique de la dialectologie à la fin du XIXe siècle avaient compris – et tout descriptiviste et géolinguiste à compris depuis – qu’il y a un autre aspect primordial qui régit les langues humaines, celui du dynamisme inné du langage qui évolue par à coups, parfois d’une façon structurellement cohérente, parfois d’une façon incohérente (nous pensons ici surtout aux premiers travaux de Pierre-Jean Rousselot). 3Pour d’autres pionniers et tenants de l’approche dynamique, voir Wmffre (2013: 291–373).
Les incohérences qui existent dans toute langue sont bien connues mais, même s’elles étaient connues, elles étaient plutôt négligées jusqu’au moment où André Martinet en France et William Labov aux États-Unis au début des années 1960 commencèrent à développer une méthodologie et une analyse qui discernait les méchanismes des contours dynamiques régissant non seulement les évolutions linguistiques en cours (linguistic change in progress) dans une langue mais aussi la nature de la variation dans le langage humain. Labov s’intéressa à l’évolution linguistique en cours et à la variation linguistique qui en résultait, coexistant dans une même langue au même moment. La seul chose qu’on peut reprocher à Labov et son école est que l’approche ‵variationniste′, comme il est coutume de l’appeler, a été assimilé à une approche technique, statistique, instrumentale, plutôt qu’une approche générale à la compréhension de la langue comme phénomène vécu et concret.
Ces deux aspects qui intéressaient Labov – l’évolution et la variation – sont, en vérité, dérivés d’un seul phénomène, le dynamisme du langage qui dit que toute langue varie et change et comportera aussi bien des aspects cohérents que d’aspects d’incohérence du point de vue structurel. Et c’est, en effet, le linguiste français André Martinet, qui fit sa renommée en tant que structuraliste foncionnaliste dans les années 1940 et 1950, qui, petit à petit, commença à comprendre l’importance primordiale du fait dynamique du langage au côtés de l’approche structurelle pour comprendre les langues telles qu’ils y étaient dans leur réalité et dans leur totalité. Plutôt que de s’attaquer à la linguistique – comme le faisait beaucoup de ses contemporains – comme s’il s’agissait simplement de la cognition ou d’une sous-discipline théorique de la logique, il fallait aussi prendre en compte le côté sociale, négociable, et évolutionnaire de langue en tant que moyen de communication. Dès 1968, il se fit le promoteur de l’approche dynamique à la description et à l’analyse linguistique, une approche qu’il ne cessa de prôner en termes plus musclés au fil du restant de sa carrière.
L’approche dynamique à la description linguistique accorde une importance primordiale au fait qu’il existe des variations dans la langue ou dans le dialecte ciblé et somme les linguistes de décrire et d’analyser ces variations. L’approche dynamique demande donc un degré d’exhaustivité dans la description qui requiert un travail de recherche longue haleine pour bien faire. Il n’est plus suffisant de dire qu’une variante linguistique X existe dans le dialecte ciblé, il faut aussi étudier s’il existe d’autres variantes, et dans quels proportions ces variantes sont en usage. Une fois tout cela établi, on doit découvrir lequels des variantes attestées sont communs et lequels sont rares; et aussi lequels des variantes attestées sont récessives ou progressives (expansive). Une partie de la description dynamique consiste d’étudier les dialectes voisins du parler ciblé pour essayer de mieux cerner la dynamique des variantes récessives et progressifs dans ce parler. La raison que des dialectes voisins doivent être pris en compte pour compléter l’étude du dialecte ciblé découle de la porosité reconnu par l’approche dynamique de tout ‵parler′, tout ‵dialecte′ et la compréhension solidement ancrée que le terme ‵dialecte′ ne se reporte jamais à une entité linguistique close et isolé mais tout au plus à des réalités sociales ou géographiques approximatives. 4Une liste d’onze principes qui caractérisent l’approche dynamique à la description linguistique se trouve dans Wmffre (2013: 493–515). On voit de tout cela, que l’achèvement d’une description linguistique dynamique satisfaisante pour un seul parler n’est pas à la portée d’une description linguistique de seulement deux à trois ans (la durée moyenne d’un doctorat à plein temps) mais ressemble plutôt à un travail à vie, ce qui explique en partie sa rareté de ce type de description linguistique. Mais il est nul besoin d’avoir complétée une description dynamique de ce type pour comprendre les aperçus fondamentaux qu’apporte cette approche, que toute langue (même d’une société fondamentalement illetrée comme le breton traditionnel) ne peut éviter une variation interne et que chaque variante penche vers des corrélats d’âge, de location, d’emploi dans le parler ciblé. 5Une trop brève disambiguation des termes ‵intrinsèque′, ‵interne′ et ‵intérieur′ est proposé par Wmffre (2013: 255–57).
Revenant à nos moutons toponymiques bretons : l’approche linguistique dynamique nous enseigne qu’on doit s’attendre à des variantes dans la prononciation des noms de lieux bretons même chez les locuteurs bretonnants traditionnels élevés dans le voisinage et ayant vécu là toute leur vie. Et cela, en effet, est la réalité rencontré par les chercheurs linguistiques. Les variantes peuvent se reporter à des faits internes d’évolution linguistique, illustrés par le tranche d’âge des informateurs, ou à des influences externes provenant de dialectes avosinants. Avec l’existence du français, une toute autre langue avec des règles de prononciation souvent carrément contraires au breton, le chercheur-dialectologue doit faire face à une toute autre gamme de variantes externes qui représentent l’intrusion grandissante du français dans le breton des informateurs, tout aussi traditionnels qu’ils soient (voir, ci-dessous, pour les implications concernant les résultats et la méthodologie de la prospection).
Notes
↑1 | Pour les incohérences de l’application de ce sens du mot ‵langage′, même chez Saussure et les linguistes qui l’ont suivi, voir Wmffre (2013: 7–11). |
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↑2 | Wmffre 2013: 18–20. |
↑3 | Pour d’autres pionniers et tenants de l’approche dynamique, voir Wmffre (2013: 291–373). |
↑4 | Une liste d’onze principes qui caractérisent l’approche dynamique à la description linguistique se trouve dans Wmffre (2013: 493–515). |
↑5 | Une trop brève disambiguation des termes ‵intrinsèque′, ‵interne′ et ‵intérieur′ est proposé par Wmffre (2013: 255–57). |