1.00 Presenter le HLBI
Le Hanoiou-lec’hiou Breiz Izel (HLBI), ou ‘L’Enquête des noms de lieux bas-bretons’, est un projet ambitieux qui a pour objectif de publier 39 tomes contenant les formes indigènes locales ainsi que les traditions et les connaissances concernant environ 60,000 et plus de noms de lieux de la Basse-Bretagne, accompagnées des formes cartographiques et historiques de ces noms. Il est prévu que les premiers tomes de la série verront le jour en 2020. La priorité de l’enquête consiste d’enquêtes de terrain pour réaliser la collecte des prononciations des noms de lieux de la Basse-Bretagne, là où la langue bretonne est encore parlée et – hélas – restreinte à une population de locuteurs natifs âgés en constante régression.
L’importance de la collecte des formes orales traditionnelles locales des noms de lieux ne semble pas si évidente aux toponymistes qui étudient les noms de lieux français et anglais, habitués comme ils sont à la prééminence accordée aux formes écrites médiévales dans la poursuite d’étymologies. Cependant – comme dans les autres pays celtiques – l’importance de la vérification de la prononciation des noms de lieux est plus importante en Bretagne où la forme bretonne d’origine est souvent déguisée et déformée par des formes écrites officielles qui sont anachroniques et francisées à divers degrés. Comme ailleurs, il n’y a pas de raison immédiate à craindre que les formes historiques ne seront pas assidûment recueillies à terme par des individus en recueils complets des formes documentaires. Mais on ne peut pas en dire autant des formes orales traditionnelles locales de la toponymie qui sont le plus souvent ignorées par les toponymistes, par simple manque d’expertise (nous parlerons ailleurs de l’importance des prononciations traditionnelles des toponymes ailleurs).
Progrès des prospections
A l’heure actuelle, la couverture territoriale de la collection des prononciations traditionnelles bretonnes des noms de lieux bretons dans les localités est arrivée au stade représenté par la carte. Mais même pour les communes marquées comme ayant étés prospectées il ne faut pas se laisser berner par l’impression d’un travail accompli: il reste beaucoup de carences qu’on peut toujours suppléer là aussi, et, même pour les prononciations déjà recueillies, il reste un nombre non-négligeable de toponymes qui demandent une vérification sur place.
Les zones sur la carte correspondent aux communes administratives d’environ 1950. Pour voir une liste de ces communes, cliquer ici.
Les zones bleues sont des recueils communaux qui ont été publiés (Madeg; Denez; Rouz) et c’est Mikael Madeg, bien sûr, qui a été le pionnier à compléter et publier le premier travail d’envergure de collecte des prononciations des noms de lieux (pour le Léon au nord-ouest). Les zones vertes/jaunes sont recueillies mais inédites (Humphreys; Goyat; German; Cheveau). Il est prévu que ces collections seront publiées côte à côte des résultats de l’enquête de terrain proposée décrite ici (le travail de Madeg sera réarrangé selon la commune dans le cadre du modèle du HLBI). La grande étendue de vert en centre Bretagne est le résultat du travail de terrain effectué par Humphrey Lloyd Humphreys, dans les années 1970 et 1980, qui comprend enregistrements et transcriptions. En conséquence d’un accident vasculaire cérébral qu’il a subi il y a quelques années, il ne peut pas se vouer à la publication complète de ses propres archives personnelles et le HLBI compte achever cette tâche à sa place. Loïc Cheveau a lui aussi, de son côté, a réussi à enregistrer la prononciation des noms de lieux dans 85% des communes du Vannetais (en jaune). Depuis 2001, beaucoup de travail a été accompli par l’Ofis Publik ar Brezhoneg, qui a complété des recueils de prononciations pour au moins 63 communes à ce jour [2018], concentrées dans la frange sud-ouest de la Cornouaille, tout le Vannetais et la frange de la Cornouaille qui avoisine le Vannetais (les communes publiées par l’Ofis – mais pas toujours disponibles – sont en orange, tandis que les communes non-publiées sont en gris).
Même si la carte semble montrer 66 pour cent de la partie bretonnante de la Bretagne comme ayant été prospectée, il reste un fait que la plupart des énquêtes communales sont incomplètes et nécessitent des nouvelles prospections (non seulement pour les noms non recueillis, mais quelquefois pour vérifier des prononciations douteuses recueillies auparavant par d’autres chercheurs). Donc, plutôt que 33 pour cent de la superficie parlant breton de la Bretagne que suggère la carte comme ayant été exploitée, nous estimons qu’en réalité il reste à recueillir autour de 50 pour cent des noms de lieux bretons qui n’ont aucune prononciation bretonne traditionnelle connue sauf chez des petites poignées de bretonnants âgés qu’on trouve toujours dans la plupart des communes de la Basse-Bretagne.
Si la priorité est accordée à une campagne de travail de terrain dans les zones inexploitées (voir ci-dessus), il est proposé de préparer immédiatement les données recueillies pour publication par districts à peu près équivalents à deux ou trois cantons donnant un tome de 100 à 150 pages (les cantons sont des régions administratives composées d’entre six et quinze communes). Mis à part les transcriptions en API de la prononciation de toponymes locaux, les listes de noms de lieux comprendront des formes documentaires établies à partir de la carte de Cassini de la fin du XVIIIe siècle, plans cadastraux communaux datant du début du XIXe siècle, et cartes officielles datant, pour la plupart, du XXe siècle, ainsi que (autant que possible) des formes récemment bretonnisées sur la signalisation routière. Là où il ya des sources facilement disponibles pour accéder aux vieilles formes historiques, elles aussi seront incorporées aux listes. Les noms de lieux seront placés en ordre alphabétique, sous la commune pertinente et seront localisés à une distance de moins de 100 mètres dans le cadre du quadrillage kilométrique UTM (Universal Transverse Mercator) officiellement reconnu par les cartes officielles de France. Le premier tome, qui servira aussi de modèle pour les autres et présentera les buts du projet bien mieux qu’un sommaire ne le pourrait, devrait sortir dans le courant de l’année 2020 et sera le tome 20, Les noms de lieux des environs de Carhaix et Gourin.
L’urgence d’une collecte des prononciations
L’urgence d’une campagne d’enquêtes sur le terrain peut être formulée en termes démographiques directs. En raison de la cessation de la transmission de la langue en faveur du français dans les années 1950, le nombre de locuteurs natifs du breton dans la Basse-Bretagne a diminué à un taux vertigineux d’au moins 10 pour cent par décennie:
- 1950 77%
- 1960 66%
- 1970 55%
- 1980 44%
- 1990 33%
- 2000 22%
- 2010 11%
Il n’y a pas de données pour la langue parlée dans les recensements officiels français, de sorte que les chiffres ci-dessus, en italique, sont des rétrocalculations fondées sur une estimation pour 1952 et sur des enquêtes menées en 1999 et 2009 (voir Fanch Broudic 2009 Parler breton au XXIe siècle (Brest: Emgleo Breiz) : 33, 133). Ce que cela signifie en termes pratiques est qu’en 2015 il n’y a presque personne de moins de 55 ans qui parle le breton en tant que langue première et que, dans une commune rurale de 1,000 personnes, un toponymiste ne peut espérer avoir plus de 150 informateurs, et dans une commune rurale de 300 personnes pas plus de 45 informateurs [calibrations relevant du pourcentage supposé de 7% en 2015]. Qui plus est, tous ces locuteurs bretons d’aujourd’hui n’ont pas la même facilité en breton; en général, ceux âgés de 80 ans et plus (nés en 1930 ou plus tôt) seront, de toute évidence, de bien meilleurs informateurs que ceux de 60 ans et moins (nés en 1950 ou plus tard), puisque le français est devenu le vernaculaire dominant dans toute la Basse-Bretagne vers la fin des années 1950. Nous trouvons, dans de nombreux cas, que même les intervenants les plus anciens ont été de plus en plus amenés à utiliser le français au fur et à mesure que leur entourage immédiat devenait de moins en moins bretonnisant. Le déclin continu et inévitable des locuteurs natifs du breton, souligne l’urgence d’une campagne d’enquête sur le terrain pour recueillir les versions bretonnes des toponymes bretons et justifie pleinement la déclaration plutôt poignante qui suit:
En 2015, quand le projet du HLBI fut conçu, il était déjà plutôt difficile de mener à bien un collectage complète de toponymes bretons sous leur forme indigène d’origine. Après 2020, une telle entreprise deviendra de moins en moins practicable à parachever exhaustivement, et dès lors, et toujours par la suite, jusqu’à la fin des temps (excusez le soulignement d’apparence poétique, voire alarmiste, qui pourtant n’en est rien …), il n’y aura pas de règlement possible pour cette lacune en ce qui concerne notre savoir concernant la plupart des noms de lieux bretons. Une perte immésurable pour le pays, son histoire, et même – osons le dire – pour l’humanité …
Voir aussi Les enjeux du projet.
POSTÉ décembre 2018.