Iwan Wmffre raconte
Historien et ethno-sociologue par mes centres d’intérêts, je commençai à m’intéresser aux noms de lieux par l’intermédiaire de mon père, Humphrey Humphreys, qui lui s’était mis à collectioner les prononciations des noms de lieux dans le Centre Bretagne vers la fin des années 1960. L’écart entre les prononciations entendues et leurs formes écrites officielles étaient souvent considérables, et leurs métamorphoses quelquefois méconnaissables.
En l’été de 1982, émulant mon père, je commençai des prospections qui en fin de compte restèrent très modestes, deux interviews, un avec un voisin originaire de Boutiri au Saint pour Gourin et l’autre avec la belle-mère du dialectologue Jean-Yves Plourin pour Langonnet. N’ayant pas de moyen de transport en ce temps là, il fallait que mes parents m’y conduisent, ce qui met bien en évidence mon statut étriqué d’adolescent à cette époque. En fait, mon programme était plus ambitieux, de compléter le travail toponymique fait par mon père en centre Bretagne et l’étendre vers l’ouest du Bassin de Châteaulin jusqu’à cette ville même, aussi bien que de faire du collectage dans les pourtours suds des Montagnes Noires, grosso modo le canton de Gourin. Je me procura des contacts dans la région de Plonévez-du-Faou et Châteauneuf-du-Faou, fournis par Albert Trévidic de Carhaix, mais je ne réussi pas à prospecter cette région pourtant si proche. En ce même été de 1982, avec mon père, nous rendîmes visite à Jean-Marie Plonéis de Berrien à son domicile à Plogonnec (sa thèse – la ‘Microtoponymie des Monts d’Arrée’ – venait d’être reçue à Brest cette même année). Je lui fit part de mon problème qui était qu’il s’avèrerait difficile d’étudier les noms de lieux bretons tout en habitant le Pays de Galles : Plonéis me suggéra ‘Pourquoi n’étudiez-vous pas les noms de lieux du Pays de Galles ?’ Je ne sais pas si l’idée n’avait pas pu germer auparavant mais je reconnais que la suggestion que me proposa Plonéis s’avéra être un opportun déclic.
Rentrant au Pays de Galles avec une année de libre avant de rentrer poursuivre mes études à l’université d’Aberystwyth, je commençai à mettre en œuvre les mêmes méthodes que j’avais apprises en Bretagne au service de la toponymie galloise. Pendant mes années étudiantines et les années qui suivirent, ‘souffrant’ périodiquement des cycles de chômage et bénéficiant de travail comme dialectologue du gallois au sein de l’Université du Pays de Galles, je pus continuer à avancer ma thèse sur les noms de lieux du Cardiganshire (Ceredigion) et décrocher un doctorat en 1998. Seize ans de travail, 200 informateurs interviewés, une collection de 15,000 toponymes, qui amena en 2004 à la publication de The Place-names of Cardiganshire. Ce travail représente, à ce jour, le plus grand œuvre toponymique traitant du gallois et la zone enquêtée recouvre 10% du territoire du Pays de Galles. Il est aussi, malheureusement, le seul travail toponymique publié qui prend en compte les prononciations locales d’une façon méthodique.
Il est vrai que mes visites en Bretagne devinrent rares après que j’eus commencé mon parcours d’étudiant, mais un retour à la toponymie bretonne n’était pas de toute aise puisqu’il me fallait trouver un poste permanent, ce qui m’amena en Irlande en 1999, puis en Pologne, puis de retour en Irlande pour suivre une carrière universitaire. A cause d’autres priorités professionnelles, je n’eus pas le temps de retourner à l’étude des noms de lieux bretons, mais, ayant complété des livres sur les orthographies bretonnes et la linguistique, je me suis trouvé enfin libre de suivre d’autres lignes de recherche en 2014. Puisque je m’y trouvais au loin en Irlande et que depuis le milieu des années 1990 j’entendais mes parents dire qu’on n’entendait presque plus le breton dans les rues à Carhaix, j’ai hésité avant de me replonger dans cette gageure que représentait un grand projet pour recueillir les prononciations bretonnes traditionnelles de toute la Basse-Bretagne. Pleinement conscient de l’échéance imminente du breton comme langue parlée ordinairement dans la Basse-Bretagne, l’état de santé de mon père me poussa quand même à tenter de publier les prononciations des noms de lieux centre-bretons qu’il avait recueillis au fil des années mais qui restaient pêle-mêle en état de manuscrit, de tapuscrit ou d’enregistrements. Cela faisant, je me suis dit que peut-être en collaborant avec d’autres on pourrait quand-même réussir à recueillir tous ces noms bretons en danger imminent de perdition. Des faits m’encourageaient que cela relevait du possible, surtout la publication de la prononciation de tous les noms de lieux du Léon par Mikael Madeg en 1996 (à ce moment là, les grandes collectes de prononciation de toponymes d’Ofis ar Brezhoneg, entamé sérieusement vers 2005, et ceux de Loïc Cheveau pour le Pays vannetais, entamé un peu plus tard, m’étaient inconnues).
Ce n’est donc qu’en 2015 que je me renonça à mettre en œuvre un projet sérieux qui demanderait beaucoup d’efforts et d’années. En vue d’assembler des collaborateurs, j’organisai – avec la précieuse aide de Gary German de l’UBO – le premier atelier du HLBI sur les noms de lieux qui prit place le 11–12 septembre 2015 à la Faculté des Lettres de Brest. Tout en étant une modeste réussite, les résultats escomptés de la collaboration qui suivirent l’atelier furent maigres (des données recueillies à St-Rivoal et à Hanvec, quand-mêmes). A y bien penser, cela n’avait rien de surprenant, au moment où l’atelier se déroulait, le projet – tout en étant clair dans ma tête – ne pouvait pas l’être du point de vue des participants, d’où la nécessité d’un site dédié au projet et la sortie d’un tome de la série préconisée pour servir de modèle et pour illustrer concrètement les buts du HLBI. Je m’attela donc au travail de préparation du tome 20 de l’HLBI, Les noms de lieux des environs de Carhaix et Gourin, un tome auquel j’ai consacré beaucoup d’efforts étant qu’il devait servir non seulement de modèle à la série mais qu’il devait aussi illustrer l’enjeux implicite dans un travail toponymique qui était principalement un description synchronique plutôt qu’un exercice d’étymologie et d’histoire ancienne (quand bien même qu’il reste incontestable qu’un œuvre toponymique idéale serait une union parfaite de toutes ces approches, mais le projet de l’HLBI se déroulait dans une optique particulière dictée par la situation précaire et évanescente de la communauté bretonnante).
A chaque visite suivante en Bretagne, toutes de courte durée, j’étais tiraillé entre des tentatives d’encourager des personnes capables de faire le travail de collectage sans certitude que ce ne serait pas du temps perdu ou bien d’y aller moi-même directement faire de la prospection chez des informateurs. Un peu après l’atelier de l’HLBI de septembre 2015, je recontactai Loïc Cheveau – qui bien que ne pouvant assister à l’atelier – m’avait signalé néanmoins qu’il s’intéressait beaucoup à la question et qu’il avait fait beaucoup de collectages toponymiques dans le Vannetais. Comme avec les travaux toponymiques de Mikael Madeg, je fus ravi qu’il existait une vraie possibilité de mettre en marche le projet de l’HLBI pour ce pays qui nous – bretonnants KLT – demeure assez inconnu. Un essai de collaboration fut entamé pour la commune de Plouray, commune la plus ‘cornouaillaise’ de tout le Vannetais et qui est contiguë à la commune de Langonnet qui avait été bien prospecté de mon côté. Quoi qu’il en ensuit des résultats escomptés, je ne pouvais m’attendre à meilleure collaboration que celle de Loïc, qui est d’ailleurs très au fait des variétés bretonnes du Vannetais et de son pourtour aussi bien que le gaélique du Donegal, un dialecte proche d’où j’habite à présent en Irlande et dont je suis en train de composer un livre sur sa phonétique.
Malheureusement, comme s’il n’y avait pas assez de défis à la création d’un projet viable pour entretenir un objectif aussi ambitieux que celui de l’HLBI, ma situation professionnelle se changea du jour au lendemain en 2016 quand un processus de licenciement engagé dans l’université où je travaillais donna libre cours aux préjugés de certains cadres, pour me faire limoger de mon poste ‘permanent’ de maître de conférences sans qu’on trouvait rien à m’y redire apres plus de dix ans de service. Vous voilà les universités britanniques contemporains… Je n’insiste plus sur ce fait sauf pour rappeler aux lecteurs les difficultés qui me font face en tentant de mettre ce projet, somme toute louable, sur pied, et la raison qu’il pourrait bien échouer, du moins en partie.
En tout état de cause, je puis affirmer que même si le projet ne sera pas complété, quelque chose de bon en sortira sous forme de publications.
POSTÉ mars 2018.
DERNIÈRES NOUVELLES (mai 2020)
Le deuxième atelier du HLBI sur les noms de lieux vient de prendre place à Lannion le 8–9 fèvrier 2020, organisé – avec la précieuse aide de Jacki Pilon, pilier de l’association ARSSAT – et hébergé dans des locaux du Centre culturel breton de cette ville (nous les remercions à nouveau). L’atelier, qui avait pour but de faire connaitre le progrès du HLBI et les problématiques de la collecte des noms de lieux bretons, avait aussi une autre mission : d’inspirer des collaborations et nous pouvons revendiquer un certain succès puisque nous avons incité des intentions de collectage de la part de certains participants. Constat curieux (en dépit de la présence de trois Finistériens à l’atelier de Lannion) : les deux ateliers du HLBI ont l’air de révéler que les Bretonnants intéressés sont peu enclins à sortir de leur département (voire leur province !) – cela me surprend en tant que centre-Breton du Poher et surtout me fait penser à la vie culturelle dynamique en Irlande, un pays qui fait plusieurs fois la Basse-Bretagne, et quel effet cela ferait pour les Irlandais d’entendre le problème des soi-disant ‘distances’ à parcourir.
Mais – vu la date à laquelle j’écris ces lignes – il y a un deuxième constat qui est beaucoup plus grave pour ce qui regarde directement le projet du HLBI. C’est bien sûr l’avènement en mars 2020 de la pandémie virale du Covid-19 et le confinement inéluctable que ce danger a nécessité à mis le frein à bloc l’entreprise de collectages projetés chez des informateurs en interdisant des visites à la maison. Le danger que représente le virus ne peut être sousestimé. Des prévisions du durée de la pandémie allant de quelques mois à un an portent un coup foudroyant, presque mortel, à tout collectage chez les anciens, et les anciens sont notre plus précieuse ressource… . La sortie de la pandémie s’avère compliquée, et les personnes les plus vulnérables sont justement la classe d’âge à laquelle nous nous intéressons prioritairement pour les besoins du HLBI. Nous préconisons de ne pas mettre nos informateurs et informatrices en danger – la vie humaine est sacrée. Donc il faut penser peut-être à faire des collectes des toponymes par téléphone, méthode qui – même s’il a des avantages – porte néanmoins des inconvénients majeurs (taux de surdité plus élevée chez les anciens, prédisposition chez les bretonnants traditionnels à ne parler qu’en français avec des personnes inconnues). Un travail préparatoire d’inventorier des bretonnants âgées capables de fournir des informations dans chaque commune concernée serait souhaitable pour diligenter les collectes par téléphone ou en préparation pour la période post-pandémique.
Il nous reste plus qu’à communiquer trois avertissements basés sur nos expériences dans la matière du collectage des noms de lieux bretons : 1) il faut vraiment privilégier les bretonnants nés avant 1940 plutôt que la toute dernière génération de bretonnants nés entre 1940 et 1955 (pour cause de profondeur du vécu et des connaissances, et d’une prononciation moins influencée par celle du français) ; 2) ne pas oublier que s’il se trouve qu’il ne reste plus aucun bretonnant âgé capable de nous aider résidant dans une commune qu’il se peut facilement qu’il en perdure d’autres individus issus de la commune, soit dans d’autres communes limitrophes, soit habitant toujours des villes dans la région, voire même à Paris, Montréal ou – pourquoi pas ? – New York. Le repérage le plus éfficaces d’informateurs se produira par des enquêtes de fil en aiguille par le biais de connaissances et des réseaux de parenté et d’amitiés ; le faire par téléphone bousculera les habitudes, mais il se peut – qu’étant conscients de la gravité de la conjoncture – les gens seront en général plus prêts qu’ils n’auraient étés avant à prendre part dans une conversation téléphonique en breton sur les noms de lieux ; 3) nous faisons ‘enquête’ sur les noms des lieux, c’est sûr, mais il vaut mieux ne pas employer le mot ‘enquête’ étant qu’il peut être associé à des perquisitions officielles par des instances bureaucratiques ; préférez plutôt d’exprimer votre démarche en termes d’un intéret ou d’une passion que vous portez au passé du pays et de ses paysages.