En plus d’une collecte des prononciations et des formes écrites attestées, le but du HLBI est de présenter les noms de lieux de l’ouest breton dans une forme que les locuteurs bretons de tradition – qui les emploient – pourraient les reconnaîtres. Cela implique d’un côté, une forme bretonne moderne plutôt qu’une forme désuète qu’on trouverait dans les formes officielles de la toponymie, et, de l’autre côté, une forme bretonne familière (régionale ou du pays) plutôt qu’une forme simplement calquée sur celle des mots contenus dans les dictionnaires littéraires moderne.
Ce but assez simple se heurte à deux complications majeures : (1) l’existence de deux aires de systèmes orthographiques (une binarité traditionnelle bretonne) (voir 7.02 Aires orthographiques du breton) et (2) le degré de mimétisme à choisir.
Le mimétisme
Et comme si la navigation entre les périls orthographiques n’était pas assez compliquée en elle-même, on se doit de reférer au problème du degré de mimétisme souhaitable en essayant de communiquer la réalité orale par l’écrit. Quel que soit l’orthographe choisie on doit contempler à quel degré reconnaître les formes orales dans l’écriture des noms de lieux.
Expliquer le mimétisme
Mais expliquons d’abord ce que c’est le mimétisme. La qualité mimétique (phonographique) d’un système de conventions orthographiques est la qualité de correspondences phonétiques d’une quelconque orthographe à une prononciation donnée. Bien que comprise comme étant ‘la phonétique’, une transcription mimétique se démarque d’une transcription phonétique (scientifique) par le fait qu’il est dérivative toujours des conventions ecrites d’une langue particulière et donc, par cela, plus approximatif. Le mot anglais do ‘faire’ (duː en phonétique) aurait une transcription mimétique différente selon les conventions usuelles de langues différentes:
- dou (français)
- doo (anglais)
- duh (allemand)
- dú (gaélique)
- dŵ (gallois)
Une transcription mimétique varie donc suivant la langue utilisée (et ne peut, sans difficulté, communiquer certains traits saillants non-conformes à sa génie propre, comme la longueur réquise de la voyelle dans la version française dou). Par contre, la transcription phonétique pour le même son doit être transcrite d’une façon relativement exact et doit rester invariable (c’est après tout l’Alphabet Phonétique International qui est à la base de toute transcription phonétique de nos jours).1La question d’une approche phonémique à la transcription sera traitée ailleurs. C’est un problème insoluble quant à son application simultanée à tout l’ensemble des dialectes bretons. Cependant, nous pouvons affirmer clairement que nous penchons pour des solutions phonétiques avec transcriptions étroites (narrow transcriptions) plutôt qu’à des systématisations phonémiques qui pourraient facilement s’avérer abusives. Dans Wmffre Dynamic Linguistics (2013) on trouvera une critique générale de la systématisation phonémique toujours en vogue chez beaucoup de linguistes qui, malheureusement, l’acceptent trop inconditionnellement en tant que dogme structurel.
Le mimétisme et les degrés d’application du principe mimétique
Le mimétisme n’est pas limité à des différences en fonction de langues différentes, mais il joue aussi un rôle à l’intérieur d’une même langue, surtout en ce qui concerne les degrés de mimétisme qu’on peut employer pour arriver à ses fins. Même en suivant des règles claires issues de principes énoncés (voir les rubriques 7.02 et 7.03) il est clair qu’on ne peut avoir une seule façon d’écrire les noms de lieux bretons, puisque cela dépend beaucoup de la volonté qu’on aura de rompre avec la tradition littéraire quand il s’agit d’exprimer la prononciation des noms de lieux. Pour illustrer cette problématique nous donnons, ci-dessous, cinq dégrés de mimétisme, enjambant le continuum littéraire ↔ phonétique pour une phrase simple :
i. abalamour da betra ez euz ur c’hi e-barz an ti all ? | littéraire2Les graphies ici sont littéraires, certes, mais nous sommes conscients que certains préfèreraient pour version 'littéraire' perag ez euz ur c'hi en ti all ? |
ii. blamour da betra zo ur hi barz an ti all ? | paramimétique |
iii. dam beter zo or hi ba’n ti ell ? | mimétique 'moyen' |
iv. da͂m bètėgh zó ó hi ba’n ti èll ? | supermimétique |
v. dɑ͂m ˈbɛtᵊꝛ zo o ˈhi ba-n ti ɛl ? | phonétique |
De même avec les noms de lieux (prenant pour exemple un toponyme-type du centre Cornouaille) :
i. an Ti-neveƶ | littéraire |
ii. an Ti-neve | paramimétique |
iii. an Ti-nê | mimétique 'moyen' |
iv. ėn Ti-nê | supermimétique |
v. ən ˌtiˈne | phonétique |
On peut dénombrer trois degrés de mimétisme ii–iv qui, ensemble, illustrent les différentes façons mimétiques d’écrire dans une langue.3Évidemment, les choses sont plus compliquées que la schématisation ci-dessus le laisserai croire puisque meme sans chercher dans des exemples d’autres dialectes, vite fait, on comprendra qu’on pourrait écrire ėn Ti-neve pour la meme prononciation donnée ci-dessus. Pareillement, la langue littéraire pourrait se représenter dans une version encore plus vénérable : perag ez euz ur c’hi e’n ti all ?. En premier, il y a le degré ‘paramimétique’ ii qu’on peut employer dans une correspondence générale avec d’autres qui évite de trop modifier les formes pour ne pas dérouter les lecteurs.4Par exemple, originaire du centre Cornouaille, j’ai tendance à écrire en breton : un et hon plutôt que on pour ces deux mots | ive hag eo plutôt que ê pour ces deux mots | hiriou plutôt que fenoz (tous pour des raisons de désambiguation). Par contre j’ai tendance à écrire : en plutôt que in | blam plutôt que dam | all, stard, dalc’h– plutôt que ell, sterd, delc’h– sans trop d’états d’âme ; tandis que je ne peux me contenter facilement d’employer la forme des articles en –l devant des mots commençant en l– (ar leor, ur leor) parce que al l-/ul l– me crisse dans mon breton, de même que le feraient : hor, kerkoulz, kerkent qui sont dans notre breton hon, kenkoulz, kenkent. Force est de constater qu’on ne peut éviter des choix personnels avec le ‘paramimétisme’. Mais si on s’efforce à démontrer la façon qu’on parle, on doit pencher pour le degré mimétique ‘moyen’ iii. Le dernier degré, le degré ‘supermimétique’ iv s’emploi dans le but de fournir encore plus de détails concernant la prononciation, ici l’emploi de diacritiques et de symboles inédits croît, créant toujours plus de difficultés à des lecteurs lambdas. Arrivé au degré supermimétique iv, il est temps de considérer l’emploi d’une transcription phonétique. En réalité, chacun de ces degrés – catégories qui ne sont ni stables, ni étanches – à son utilité. Choisir une forme mimétique pour écrire la langue ne peut suivre une règle entièrement cohérente, puisque le degré de mimétisme dépendra du contexte (ce qu’on transmet aussi bien à qui on veut transmettre).
Comment nous sommes arrivés au degré mimétique poussé
Il vaut la peine de souligner clairement la politique du HLBI en ce qui regard l’orthographe bretonne des noms de lieux :
Le HLBI favorise d'orthographier les toponymes bretons selon un degré mimétique 'poussé' (sitúe entre les degrés mimétiques 'moyen' et 'supermimétique')
Nous avions au début commencé par préférer le degré iii ‘moyen’, évitant ainsi d’employer trop de diacritiques, mais des problèmes ont surgis au cours du raffinement des listes dont la suivante devint la plus importante : la question du vocalisme des syllabes inaccentuées en KLT. Nous ne voulions pas employer un diacritique pour montrer la réduction en schwa de la voyelle inaccentuée finale dans un mot comme kalėd ˈka·ləd (au lieu de kaled), prononciation de la plus grande partie de la Basse-Bretagne. Et puisque nous avions choisi de ne pas montrer la réduction en schwa, il fallait être logique avec cette principe en montrant les vocalismes sousjacents dans les toponymes dans tous les régions où ils étaient réduits en ė, donc nous écrivions Skrinyeg | Kalleg (à cause des dérivatives ethniques : Skrinyegiz, Kallegenn) et de même Poullaouan (à cause du même type de dérivé : Poullaouaniz). Cela choquait les lecteurs bretonnants habitués à Skrignag | Kallag | Poullaouen, mais peu importe, le but du HLBI est de montrer la réalité – apparente ou sousjacente – en harmonie avec les règles de l’écriture du breton. L’orthographe bretonne n’a jamais montré ces réductions vocaliques aux finales même dans des écrits teints de dialecte local ou régional. Dans plusieurs dialectes des –en finaux ont développés en –an avant de se réduire à –ėn, p. ex. melen > melan > melėn (et même merėn) dans le district de Carhaix, mais donnant toujours dans ce même district les dérivatives melanėc’h ‘plus jaune’ et melani ‘jaunir’. Donc la question d’écrire melen ou melan dans les toponymes devenait compliquée dans tous les districts où ce mot se prononçait avec un –ėn final (nous parlerons de la diffusion de ce trait ailleurs) ; parfois des formes écrites étaient indicatives comme à Pluzunet où ar Poullmelėn s’écrivait Poul Mélan dès 1834.
Donc en centre Cornouaille et en Trégor, là où nous étions relativement sûrs du dialecte nous avons adopté des formes de toponymes qui révélaient les formes correctes sousjacentes du vocalisme final. Mais voilà, cela était trop simple … et nous avons découvert dans nos recherches que dans une partie du Trégor, grossièrement située entre Lannion et Plestin (et peut-être ailleurs, mais les recherches ne sont pas abouties pour le moment) que si les e et les a finaux se réduisaient effectivement à schwa, comme en Cornouaille, les o finaux ne se prononçaient pas o devant un n, mais a ɑ͂, ce qui nous obligeait à écrire Lannuan (= Lannion) | Kervodan (Plestin) | Rumedan (Ploumilliau) | Krec’hbaran (Tonquédec) plutôt que Lannuon | Kervourdon | Rumedon | Krec’hbaron. Mais voilà, tout en étant une graphie correcte pour noter la prononciation, Lannuan risquait d’être compris comme indiquant *Lannuėn, puisque tout –an final dans le même district se prononçait –ėn, p. ex. : Poullmadogėn | Kerlaouenėn | Kerzenėn (tous Ploumilliau) pour Poullmadogan | Kerlaouenan | Kerzenan. 5Par contre, plus à l’est dans le district de Bégard, nous trouvons que –on devient –ėn, p. ex. Lannuėn & Rohuėn (Bégard) | Run-ar-barėn (Belle-Isle-en-Terre).
Cet état de fait nous obligeait à reconnaître que nous ne pouvions pas écrire un –an final qui dans certains cas se prononcerait –ėn –ən mais d’en d’autres se prononçait –an –ɑ͂n. Pour guider les lecteurs il fallait soit retourner à un vocalisme d’origine –an et –on pour les deux catégories ou se résigner à montrer la prononciation traditionnelle actuelle –ėn et –an dans ces régions, et c’est ce dernier choix – dans la ligne de pensée du HLBI – que nous avons fait.
Cette situation dans le Trégor n’était pas la seule qui nous a décidé d’adopter un degré plus poussé de mimétisme pour les entrées du HLBI. Dans nos choix initiaux nous avions décidé d’écrire bian comme tel, sachant que cela se prononcerait naturellement ˈbi·ən ou bi·n dans les parties centrales du Cornouaille et ˈbi·ɑ͂n dans le Léon et biˈɑ͂ dans le vannetais. Présomption trop simple évidemment ! Nous savions qu’il existait une prononciation bjan et bjɑ͂n dans le pays fanch, mais nous n’avions pas résolu quoi faire pour montrer la zone de contact entre les prononciations KLT et ZIM, un interface s’étalant entre Bourbriac et Clohars-Carnoët, où la prononciation de bian était byenn bjɛn. Et de l’autre côté du Pays bretonnant il existait une autre zone de contact entre les dialectes centraux (Cornouaille et Trégor) et le Léon, s’étalant entre Plougastel-Daoulas et Plougasnou où la prononciation était bien ˈbi·ɛn. Il semblait normal de vouloir écrire bian comme bien dans cette zone interfaciale, en contraste avec le bian du Léon, mais cela remettait en question pour nous la politique d’écrire bian à comprendre comme biėn dans le centre du pays bretonnant. C’était demander trop aux lecteurs, et il fallait encore choisir entre une écriture montrant le vocalisme d’origine bian ou une écriture plus mimétique qui essaierait tant bien que mal d’illustrer les diverses prononciations de ce mot bien représenté dans la toponymie. Le choix tomba encore sur un degré mimétique plus poussé. On écrirait dorénavant bian dans une grande partie du Léon, bien dans la zone interfaciale qui comprend Plougasnou, et biėn à Guerlesquin comme à Plestin (les recherches ne sont pas abouties dans la région pour l’instant). Écrire ė partout où d’autres voyelles comme i-u-o-a-e se réduisaient à schwa à un impact majeur sur les graphies à adopter dans cette grande aire des dialectes centraux bretons. Pourtant il importe de comprendre qu’en offrant des formes, le HLBI n’entend pas proposer une forme standard pour le breton, mais plutôt d’offrir des connaissances à ses lecteurs de la réalité sur le terrain qui soustend tout effort à la standardisation du breton, efforts qui ne sont pas directement notre souci dans le projet de l’HLBI. Donc voilà les raisons qui nous ont poussé à adopter plus de diacritiques dans les graphies de nos entrées et ceci en dépit du fait que nous pensons qu’une trop grande emploi de diacritiques n’est pas soutenable – ni désirable – pour ce qui est de l’écriture quotidien du breton.
Ayant serrer les dents pour adopter la forme diacritique ė dans notre système, il semblait incohérent de refuser de faire cela avec la palatalisation puis chuintement des occlusives vélaires k/g qui affecte surtout une grande partie du sud-est du Pays bretonnant. Disons le dès le début, nous avons d’abord cherché une solution sans diacritique ou la lettre c tombait à merveille pour remplacer le k là où il y avait une palatalisation, donc Cervadėg | Micêl représentaient assez facilement pour les lecteurs ce type de prononciation. La raison que nous n’avons pas adopté cette solution est que il manquait une lettre qui aurait pu facilement représenter le g-palatalisé qui est compliqué puisque la majuscule G ne ressemble pas à la minuscule g. Nous avons aussi cherché des solutions non diacritiques mais le mieux qu’on a trouvé étaient Ꞔꞔ-Ɠʛ-Ϛς, lettres exotiques qui allaient à l’encontre d’une autre principe du HLBI qui était de ne pas introduire des lettres nouvelles au breton (ce qui ne veut pas dire qu’on n’ait pas présenté des nouvelles conventions graphiques au breton (voir sous la rubrique 7.07)).
Une autre solution plus acceptable était de noter la palatalisation de k/g par l’adjonction d’un y (comme on le fait pour ly, ny) mais non seulement Kyervadėg | Mikyêl faisaient un peu lourd surtout où la palatalisation se trouvait plus d’une seule fois, p. ex. Kyergyeo | ar Gyinkyiz, mais le vrai obstacle à l’utilisation du y aurait été à la finale où il a une apparence franchement horrible, p. ex. an Ivernigy | Loch-ar-biky. Notre jugement esthétique est guidé ici par notre sensibilité orthographique, partagé sans doute par les lecteurs, tout en sachant que l’hongrois emploie y de cette façon comme dans le gy du nom du célèbre présidant hongrois Imre Nagy (1896–1958) qui se prononce nɔɟ ~ nɔȡʑ. 6N’oublions pas l’emploi de ty/dy pour le k/g palatalisé qui était la façon traditionnelle la plus commune de noter la palatalisation des occlusives vélaires (sous la forme ti/di bien sûr, le HLBI appliquant strictement l’emploi du y au lieu du i quand ce dernier est consonantique). L’emploi de ty/dy butterait sur les mêmes problèmes que ky/gy, comment accepter des formes comme p. ex. an Ivernidy | Loch-ar-bity ?
Finalement on s’est résigné à employer ḱ/ǵ avec des accents aigus pour illustrer la palatalisation de k/g, p. ex. Ḱervadėg | Miḱêl | Ḱerǵeo | ar Ǵinḱiz | an Iverniǵ | Loch-ar-biḱ. [Comme vous le voyez cela marche très mal sur l’internet]. Cela peu apparaître assez lourd surtout dans certains toponymes où il y en a plusieurs, mais l’accent aigu constitue un bon indicateur sans faire perdre de vue la graphie usuel du breton.
Suite à l’emploi de l’accent aigu pour montrer la palatalisation dans les occlusives vélaires, il semblait naturel d’étendre cette convention à la labiopalatale [ɥ] et de l’écrire ẃ dans la Cornouaille là où il serait écrit ù dans le Vannetais, p. ex. Ḱerǵẃenn (Spézet) vs Tcherdjùenn (Pont-Scorff). 7Pour la différence des conventions graphiques, voir la rubrique 7.02. Notez que il y a un degré de changement de la réalisation de la palatalisation qui évolue de [k/g] dans le nord-ouest à [kʲ/gʲ], puis à [c/ɟ], auxquels se succèdent des affrications qui donnent [ȶɕ/ȡʑ], puis s’achevant avec [tʃ/dʒ] dans le Vannetais. Les deux dernières variantes voient évoluer une affrication suivant les occlusives, affrication qui finit par donner un chuintement non palatalisé dans le Vannetais. C’est-à-dire que la prononciation des occlusives vélaires d’origine dans le Vannetais n’est pas du tout palatalisée – quoi que l’on dit généralement – mais chuintée, et dû à l’unité du processus qui a conduit à ces évolutions nous préférons parler en termes généraux du ‘palato-chuintement’ des occlusives vélaires en breton. Les choix orthographiques de k/g dans le Nord-Ouest bretonnant et de tch/dj dans le Vannetais n’est pas problématique du point de vue de représenter la prononciation dans ces contrées, mais la zone située entre ces deux pôles montre une nette évolution géographique de [kʲ/gʲ] > [c/ɟ] > [ȶɕ/ȡʑ], degrés différents de palatalisation et d’affrication que nous subsummons sous la graphie ḱ/ǵ, une convention mimétique qui couvre un large éventail de réalisations.
Voilà en bref (!), les faits dialectaux qui nous avons découvert au fur et à mesure depuis 2015 ont plus ou moins forcés à changer nos conventions graphiques nous conduisant d’un degré mimétique moyen à un degré mimétique poussé.
Orthographes transdialectales, facteurs d’affaiblissement du rendement mimétique de l’orthographe bretonne
Les orthographes transdialectales du breton, qui mettent tellement l’emphase sur l’invariance, pour cause de simplification pédagogique, ont contribué à faire affaiblir le rendement mimétique de l’orthographe bretonne, des qualités mimétiques qui étaient plus solides dans les orthographes traditionnelles. Cela faisant, ces orthographes transdialectales deviennent des outils mal adaptés à représenter quelconque variation de prononciation qui existe. Ce qui semblerait être une bonne justification du point de vue pédagogique devient un handicap pour le rendement mimétique d’une orthographe, et il suffit de penser à tous les registres d’une langue écrite qui demandent de cerner la variation phonétique pour se rendre compte de l’importance du rendement mimétique d’une orthographe ; prenons, par exemple, l’exemplification de la variation dialectale et le débit de l’expression sans recours à un alphabet phonétique, tous clés pour bien représenter le langage des pièces de théatre, du chanson, du folklore, et aussi pour rendre intelligibles les noms de lieux en tant que formes utilisées.
Les vieux standards traditionnels qui ne se vantaient pas d’êtres représentatifs de la langue parlée étaient néanmoins plus performantes du point de vue mimétique pour représenter la prononciation. Les réformes de Falc’hun de 1955 tendaient en géneral à améliorer le rendement mimétique du KLT et les tenants principés de cette reforme n’ont pas cachés qu’ils se préoccupaient en premier lieu d’adapter les orthographes traditionnelles aux besoins des bretonnants de souche. Le contraste est frappant avec la plupart des autres orthographes dévelopées depuis (ZH, SS, système Hewitt) qui ont carrément misés sur une approche plutôt cartésienne qui consiste à amalgamer des différences régulières entre dialectes par le biais de nouveaux conventions de symboles qui demandent un apprentissage, somme toute, assez poussé. Ces entreprises d’unification, souvent justifiées comme étant nécessitées pour le besoin des apprenants, ont malheureusement eu le désavantage de dérouter les bretonnants de souche qui n’ont bien sûr jamais été scolarisés par le biais de leur langue mère. Répétons-le, le dessein du HLBI n’est pas de déconsidér l’utilisation d’un breton uniforme pour le besoin des écoles ou pour d’autres finalités, mais de mettre en valeur et à diposition les connaissances géographiques de la société bretonne traditionnelle pour tout le monde. Dans la présente conjoncture historique, il semble bien qu’aucune approche concernant l’orthographe du breton fasse revivre cette société qui s’est autodissous sous la pression longtemps sentie de la société française avoisinante.
Adhérer strictement aux formes référentielles des dictionnaires ou reconnaître des réductions phonétiques historiques dans la toponymie ?
Il semblerait évident qu’une forme standardisée d’un nom de lieu tendrait à faire correspondre ce nom de lieu à la forme standardisée des mots qui le composent, mots trouvés dans les dictionnaires. On penserait que toute autre démarche amènerait à une dialectisation, voir même à une ‘corruption’ (suivant les sentiments), et surtout d’une manque de cohérence du point de vue d’offrir une forme standardisée d’un nom de lieu aux utilisateurs de la langue. Mais les choses ne sont pas aussi simples, les noms de lieux ne sont pas seulement des mots mais aussi des ensembles indépendants de leurs composants. Cette dichotomie entre l’unité et ses composants, souvent non résolue, est un des caractérisques linguistiques les plus marquants d’un nom de lieu qui le distingue de la plupart des mots ordinaires dans la langue courante. En fait, à notre connaissance, même le plus féroce partisan de la standardisation du breton n’a jamais eu comme dessein de standardiser les noms de lieux à outrance.
Cela se voit bien dans la réduction prétonique d’un des éléments les plus connus de la toponymie bretonne. On trouve écrit souvent “les noms en Plou-” en se reportant à un bon nombre des noms de communes bretonnes, ce qui est une formulation maladroite puisque ces noms en question sont formés avec le mot bien attesté ploue ‘paroisse’: plou- ne représentant qu’une réduction de ce mot devant l’accent primaire qui le suit automatiquement dans tous les noms qui commencent par ploue (en tant que référent) qui sont complétés par un qualifiant. La réduction de ploue se réalise donc comme Plou-, mais aussi Plo-, Pleu-, Plu- et même Pl- devant voyelle.
Cette réduction prétonique du premier composant dans les noms de lieux bretons est beaucoup plus étendue que ne le ferait croire les exemples évidentes réduites de ploue. Le mot le plus employé dans la toponymie bretonne est bien kêr ‘ville, village, hameau, habitation’ mais – hormis certains noms où le mot forme le dernier composant accentué comme dans Penn-ar-gêr, Gorrekêr, Kreyskêr – le mot doit toujours s’écrire sans accent circonflexe puisque partout où il forme le premier composant la longueur de la voyelle est écourtee et sa qualité est abaissée ; donc on écrit Kervorvan, ar Gervenn plutôt que Kêrvorvan, ar Gêrvenn. On pourrait, bien sûr, écrire pour accorder avec les formes standards trouvées dans les dictionnaires mais ce serait là le même procédé, en principe, que d’écrire des formes franchement insolites comme *Plouegastell, *Plouenevez, *Plouezuned, *Ploueistin, *Plouelaouen au lieu de formes – réduites, oui, mais bien acceptées – qui existent depuis des siècles.
L’ajustement mimétique ne peut tout résoudre
Ayant prôné l’utilité d’une approche mimétique pour écrire les noms de lieux, il importe de dire que l’emploi de cette approche ne résout pas tout. Et si il est certain qu’il améliore la connaissance du lecteur de la prononciation réquise, l’approche mimétique ne peut pas représenter tous les prononciations existantes.
S’il faut se résigner à admettre qu’une approche mimétique ne peut tout résoudre, nous pensons qu’il vaut la peine de faire ressortir autant de traits saillants que les symboles et les conventions de l’orthographe bretonne le permettent. Il n’y a aucune doute que certains choix orthographiques ainsi que la forme de maintes noms de lieux feront frémir avec une sensation forte de refus surtout ceux qui croyent savoir ‘le’ breton (en fait ‘leur’ breton), tant locuteurs de naissance qu’apprenants. Si on pense que cette réaction se fera sentir c’est que nous mêmes on a finalement acceptés certains formes d’écrire les noms de lieux bretons que nous avions rejetés auparavant. Cela vient du fait que la forme qui nous semble ‘naturelle’ n’est pas nécessairement la forme naturelle des locuteurs des alentours auquelle nous avons toujours accordé la priorité, donc si Kemper et Kemperle se disent naturellement à Carhaix pour Quimper et Quimperlé nous avons privilégié les formes utilisés dans ces localités qui sont Kepar et Ќiperled. 8On peut bien sûr affirmer que Kepac’h et Tyiperled seraient encore plus proche des prononciations entendues de nos jours dans ces localités, mais des raisons variées et assez complexes, traitées en détail ailleurs, nous ont amenés à préférer Kepar et Ќiperled en tant que formes privilégiées. Dans certains situations une localité se trouve à cheval entre deux modes de prononciation et on doit – aussi bien qu’on peut – privilégier une forme mais de mettre la deuxième entre parenthèses, par exemple Rhostrenn (Rostrênn) pour Rostrenen. Nous espérons que nos lecteurs garderont un esprit ouvert pour pouvoir digérer l’altérité qui leur sera proposé et qu’ils s’en sortiront un peu plus éclairés qu’auparavant sachant qu’il y a souvent plus qu’une forme qui serait correcte en breton pour nos noms de lieux. C’est tout ce qu’on ose espérer découler des résultats de notre projet, et cela est beaucoup …
Un mimétisme poussé pour les noms de lieux par le HLBI doit co-exister avec des conventions plus standards pour d’autres besoins
On a déjà dit que les formes écrites des noms de lieux dans le HLBI n’ont pas prétention de se présenter comme les seules formes admissiblement correctes. On voit d’ailleurs dans les tomes du HLBI l’utilisation de formes référentielles ‘standards’ pour l’analyse côte-à-côte avec les formes des noms de lieux écrits de façon plus mimétique. L’emploi des diacritiques, plutôt foisonnant pour les noms de lieux, peuvent etre négligés dans l’écriture standard (du moins en dehors des dictionnaires et d’autres outils de référence). L’emploi de l’y-grec en tous positions aussi bien que et de yl/ly et yn/ny au lieu de ilh et gn du KLT et du vannetais traditionnel ne sont que des propositions qui ne trouvent pas leur place dans les formes référentielles d’analyse.
Même si le résultat des formes écrites suivent des principes mimétiques qui rebutent certains en lisant des noms de lieux qu’ils croyaient pourtant bien connaître, il est le but du HLBI de donner une meilleure idée de la forme de ces noms (et aussi des traits dialectaux) dans le breton moderne authentique des XIXe, XXe, XXIe siècles. Quoi qu’il en advienne de l’écriture de ces noms de lieux dans l’avenir, le HLBI aura avec ses principes directeurs achevé quelque chose d’utile en présentant le breton parlé, ancré dans la tradition immémorielle, aux personnes désireuses d’en apprendre plus.
POSTÉ novembre 2017, avec ajouts janvier 2025 (Iwan Wmffre).
Notes
↑1 | La question d’une approche phonémique à la transcription sera traitée ailleurs. C’est un problème insoluble quant à son application simultanée à tout l’ensemble des dialectes bretons. Cependant, nous pouvons affirmer clairement que nous penchons pour des solutions phonétiques avec transcriptions étroites (narrow transcriptions) plutôt qu’à des systématisations phonémiques qui pourraient facilement s’avérer abusives. Dans Wmffre Dynamic Linguistics (2013) on trouvera une critique générale de la systématisation phonémique toujours en vogue chez beaucoup de linguistes qui, malheureusement, l’acceptent trop inconditionnellement en tant que dogme structurel. |
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↑2 | Les graphies ici sont littéraires, certes, mais nous sommes conscients que certains préfèreraient pour version 'littéraire' perag ez euz ur c'hi en ti all ? |
↑3 | Évidemment, les choses sont plus compliquées que la schématisation ci-dessus le laisserai croire puisque meme sans chercher dans des exemples d’autres dialectes, vite fait, on comprendra qu’on pourrait écrire ėn Ti-neve pour la meme prononciation donnée ci-dessus. Pareillement, la langue littéraire pourrait se représenter dans une version encore plus vénérable : perag ez euz ur c’hi e’n ti all ?. |
↑4 | Par exemple, originaire du centre Cornouaille, j’ai tendance à écrire en breton : un et hon plutôt que on pour ces deux mots | ive hag eo plutôt que ê pour ces deux mots | hiriou plutôt que fenoz (tous pour des raisons de désambiguation). Par contre j’ai tendance à écrire : en plutôt que in | blam plutôt que dam | all, stard, dalc’h– plutôt que ell, sterd, delc’h– sans trop d’états d’âme ; tandis que je ne peux me contenter facilement d’employer la forme des articles en –l devant des mots commençant en l– (ar leor, ur leor) parce que al l-/ul l– me crisse dans mon breton, de même que le feraient : hor, kerkoulz, kerkent qui sont dans notre breton hon, kenkoulz, kenkent. |
↑5 | Par contre, plus à l’est dans le district de Bégard, nous trouvons que –on devient –ėn, p. ex. Lannuėn & Rohuėn (Bégard) | Run-ar-barėn (Belle-Isle-en-Terre). |
↑6 | N’oublions pas l’emploi de ty/dy pour le k/g palatalisé qui était la façon traditionnelle la plus commune de noter la palatalisation des occlusives vélaires (sous la forme ti/di bien sûr, le HLBI appliquant strictement l’emploi du y au lieu du i quand ce dernier est consonantique). L’emploi de ty/dy butterait sur les mêmes problèmes que ky/gy, comment accepter des formes comme p. ex. an Ivernidy | Loch-ar-bity ? |
↑7 | Pour la différence des conventions graphiques, voir la rubrique 7.02. |
↑8 | On peut bien sûr affirmer que Kepac’h et Tyiperled seraient encore plus proche des prononciations entendues de nos jours dans ces localités, mais des raisons variées et assez complexes, traitées en détail ailleurs, nous ont amenés à préférer Kepar et Ќiperled en tant que formes privilégiées. |